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Histoires

Julien Harvey, SJ, a été un grand intellectuel jésuite québécois. Décédé en 1998, ses idées et surtout sa manière de faire – refus de la simplification, écoute, dialogue et propositions concrètes – se sont montrées prophétiques. Il a tâché toute sa vie d’opérer une jonction entre foi et justice sociale, entre question nationale et ouverture à l’autre, entre souci pour la fragilité de la nation québécoise et devoir de solidarité envers les nouveaux arrivants, réfugiés ou immigrants. Ces préoccupations sont nées dans un contexte précis, mais résonnent encore aujourd’hui. 

D’où viennent ces préoccupations? Julien Harvey a d’abord été professeur de théologie et bibliste avant d’être nommé supérieur provincial des jésuites du Canada français (1974-1980). Puis, le moment décisif de sa vie survient en 1975 : la 32econgrégation générale de la Compagnie de Jésus. Moment décisif d’abord parce que la Congrégation y a publié un décret indiquant que «La mission de la Compagnie de Jésus aujourd’hui est le service de la foi, dont la promotion de la justice constitue une exigence absolue.» Ensuite, parce que le P.Harvey fut touché par les paroles de Pedro Arrupe, alors Père général de la Compagnie, qui lui a dit: «Julien, après ton mandat de provincial, tu devrais vivre avec du monde ordinaire. Tu n’as pas besoin d’une voiture ou de vacances à l’étranger. Tu pourrais arrêter de fumer et te joindre à une petite communauté… Ton expérience auprès des immigrants va être très utile.» Suivant les conseils de P. Arrupe, Julien n’est pas retourné à la vie universitaire après son mandat de provincial. Il a plutôt déménagé dans un quartier populaire, a collaboré à la revue Relations et a été l’un des fondateurs et le premier directeur du Centre justice et foi. Ce faisant, il a amorcé une longue réflexion sur les liens entre la pauvreté, l’exclusion, la place des immigrants et des communautés culturelles à Montréal et au Québec. Le tout en étant pasteur dans une paroisse, proche des gens.  

Justice sociale 

En étudiant la répartition démographique du Québec, Julien Harvey s’est rendu compte que la société était profondément inégalitaire. Seulement 54 p. cent des Québécois habitaient des zones en croissance, entrainant une désintégration sociale dans plusieurs régions de la province. En 1988, Julien Harvey et l’équipe de la revue Relations publiaient un dossier coupdepoing sur le mal-développement des régions de la province intitulé Un Québec cassé en deux. Ce fut le début d’une longue réflexion sur les clivages économiques et sociaux entre les centres urbains en pleine croissance de la province et les régions périphériques dévitalisées, abandonnées par l’État et soumises aux caprices du marché et du capitalisme néolibéral. Harvey souhaitait que le gouvernement reconnaisse cette fracture et travaille à y remédier. Dans plusieurs autres articles, il milita donc pour une société responsable, une redistribution des richesses et une meilleure inclusion des plus faibles (pauvres, exclus et marginalisés en général).  

Ouverture à la diversité culturelle et religieuse 

En 1992, Julien Harvey a publié dans la revue Relations un article intitulé «Une laïcité scolaire pour le Québec». S’opposant entre autres aux évêques québécois, il affirma que la plupart des professeurs et étudiants sont non croyants et par conséquent, que les écoles confessionnelles marginalisaient les minorités religieuses. Laïcité ne voulait pas dire haine de la religion, écrivait-il; au contraire, il laissait entendre que les écoles non confessionnelles devaient faire connaître aux élèves les diverses traditions religieuses présentes au sein de la société québécoise. Cette sensibilité à l’égard des autres cultures s’inscrivait dans une pensée plus large. 

En effet, Harvey avait saisi l’importance d’accueillir au Québec des gens de toutes les origines et de bâtir avec eux une société de convivialité. Mais plus encore, il comprenait qu’il fallait intervenir auprès de la population québécoise pour lui permettre de comprendre cette réalité. Comment? En développant tous ensemble une «culture publique commune». Ce concept, d’abord présenté par Gary Cadwell, est apparu dans les années1990. Cette culture publique commune voulait s’enraciner dans l’héritage du peuple québécois, tout en étant attentive à la nouvelle répartition démographique de la province et à l’apport des nouveaux arrivants. Cette culture permettrait à tous de s’identifier au Québec, sans effacer les traditions culturelles des minorités. 

Nationalisme 

Enfin, le troisième thème cher au cœur du père Harvey était le nationalisme, ici associé au désir d’un Québec indépendant. Toutefois, ce nationalisme n’en était pas un d’exclusion, tel qu’il est prôné par certains groupes actuels. Il visait plutôt un accueil chaleureux des nouveaux arrivants, qui sont eux aussi des Québécois. Pour arriver à cette vision du nationalisme, Harvey a mis à l’avant-plan la protection de la langue française, il a créé un nouveau secteur du Centre justice et foi (aujourd’hui appelé le secteur Vivre ensemble), dénon l’exclusion des immigrants et proposé la culture publique commune comme liant social.  

L’ouverture et les réflexions du P. Julien Harvey par rapport aux pauvres et aux exclus résonnent encore aujourd’hui, surtout dans un contexte d’injustice économique, de repli sur soi et de méfiance à l’égard de l’Autre chez une grande partie de la population. Son espoir qu’une lutte sociale et politique pourrait rendre la société plus juste est toujours inspirant. Non seulement dénonçait-il les injustices, mais il proposait des solutions concrètes, pas toujours parfaites, mais avec une volonté de faire réellement bouger les choses. 

Pour en savoir plus sur l’œuvre de Julien Harvey, vous pouvez lire Justice sociale, ouverture et nationalisme au Québec. Regards de Julien Harvey, publié sous la direction d’Élizabeth Garant aux éditions Novalis. 

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