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Histoires

Il y a environ deux semaines, j’ai partagé mes réflexions sur la confession du pape François de sa « honte et tristesse » face à la crise des abus sexuels, à la lumière de son enracinement dans les Exercices Spirituels de Saint Ignace. Je me réjouis de ce que plusieurs y ont trouvé du réconfort et aussi que la publication ultérieure de la Lettre au Peuple de Dieu par le Pape confirme bon nombre des idées que j’ai essayé de partager.

Beaucoup se demandent pourquoi le pape François insiste sur le jeûne. Plusieurs de ceux à qui j’ai parlé associent le jeûne à une punition pour leurs propres péchés. « Ce n’est pas moi qui ai fait quelque chose de mal, pourquoi devrais-je être puni? », se disent-ils. Pourtant, le jeûne ici a deux fonctions: il aide à clarifier l’esprit et à secouer le corps de sa léthargie et, lorsqu’il prend la forme d’une « grève de la faim », il permet de sensibiliser les autres à l’injustice et d’exprimer notre solidarité avec les souffrances injustes subies par d’autres. En jeûnant en solidarité avec les victimes de violence dans l’Église, nous éclairons notre conscience et nous nous libérons de la léthargie qui peut s’incruster au contact de nos luttes quotidiennes et du poids des mauvaises nouvelles dans le monde et dans l’Église. C’est une manière de garder les pauvres et les marginalisés au coeur de nos préoccupations en tant que peuple de Dieu, ce qui est une exigence fondamentale de notre mission en Christ. Cela devient particulièrement important alors que différentes factions politiques tentent d’utiliser le scandale à leurs propres fins, d’instrumentaliser encore une fois la souffrance des victimes d’abus. Nous ne devons pas nous laisser avoir par ces démarches.

La partie la plus importante du message du pape dans cette lettre est son appel à combattre le cléricalisme dans l’Eglise. Là encore, plusieurs se sont dits confus: le pape François ne suggère-t-il pas que tous les membres du Corps du Christ sont infectés par le cléricalisme? Ce doit être une maladie propre au clergé alors.

Le pape François présente le cléricalisme comme une maladie qui affecte l’Eglise entière et qui affecte particulièrement la vie communautaire. Le cléricalisme fausse les relations en communauté et cherche à leur imposer une structure autocratique unique. Parallèlement, le cléricalisme empoisonne et manipule le libre engagement des membres de la communauté, source de la vie et de l’énergie de la communauté.

Selon moi, le cléricalisme est habituellement compris selon deux perspectives: il y a ceux qui voient le cléricalisme comme une question de péché personnel et ceux qui le voient comme une question de transformation des structures institutionnelles. Dans le premier cas, le cléricalisme est vu comme une conséquence de la recherche de la gloire et de l’orgueil. Les solutions proposées consistent donc à punir les individus qui ont dissimulé des abus passés, à demander la démission d’autres personnes, à proposer des retraites et des exercices de prière pour les membres du clergé, etc. Toutes ces mesures sont sûrement utiles pour rétablir la justice et convertir les pécheurs, mais elles ne touchent pas aux forces culturelles et sociales plus profondes qui ont permis aux individus d’agir de manière aussi destructive.

Dans le deuxième cas, on s’intéresse aux dimensions sociales et structurelles et on en appelle à de nouvelles lois et à de nouvelles structures, à l’élimination de la distinction entre les états laïcs et cléricaux en droit canonique, à la création de conseils et de tribunaux indépendants, etc. Encore une fois, nombre de ces éléments sont certainement utiles pour institutionnaliser des procédures et des pratiques justes, non seulement pour obtenir la justice pour les victimes, mais aussi pour assurer le bien commun du Corps de Christ au long terme. Mais si nous avons appris quelque chose de ce scandale, c’est que peu importe la qualité de nos structures et de nos lois, certains essaieront de les contourner et on court le risque qu’une réponse purement structurelle ne mène à une bureaucratie écrasante.

Ces deux perspectives omettent un point clé: la réalité de la vie communautaire ou de groupe. Les sociologues et les spécialistes en dynamique de groupe nous disent que les groupes et les communautés sont des entités très réelles qui dépassent la somme de leurs membres. Un groupe ou une communauté a une vie et un pouvoir qui lui sont propres et qui découlent de l’engagement et de la collaboration continus de ses membres. Voilà pourquoi on utilise si souvent la métaphore du corps humain pour décrire la vie et le travail d’un groupe: les différentes parties du corps peuvent accomplir certaines tâches, mais ce que le corps peut faire avec les contributions de chacune de ses parties est beaucoup plus grande que la somme totale de ce que chaque partie contribue. Une communauté devient une communauté lorsqu’elle maintient un équilibre stable et permanent entre l’accomplissement d’une tâche commune qui rassemble ses membres et les relations qui unissent ces mêmes membres entre eux. Concentrez-vous uniquement sur la tâche, les relations au sein du groupe en seront affectées et le groupe s’effondre; concentrez-vous uniquement sur les relations et le groupe perdra de vue l’objectif à atteindre et deviendra lentement une fin en soi, coupé de la réalité.

Le pape François présente le cléricalisme comme une maladie qui affecte l’Eglise entière et qui affecte particulièrement la vie communautaire. Le cléricalisme fausse les relations en communauté et cherche à leur imposer une structure autocratique unique. Parallèlement, le cléricalisme empoisonne et manipule le libre engagement des membres de la communauté, source de la vie et de l’énergie de la communauté. Le pouvoir d’un groupe, sa capacité d’agir dans le monde et d’atteindre son objectif, sont le fruit du libre engagement de ses membres pour cette fin commune. Un leadership sain ne cherche pas à s’arroger le pouvoir de la communauté et à en disposer comme si c’était une possession personnelle, mais il anime et il structure le libre engagement des membres du groupe. En fonction des circonstances, cela nécessitera une série de styles de leadership à différents moments: parfois en commandant, parfois en invitant, parfois de manière démocratique, ou en cédant parfois la place aux dons de leadership d’un autre, etc. En limitant l’éventail des relations possible et en figeant le leadership dans un seul mode, le cléricalisme attaque le bon fonctionnement des communautés locales et de l’Église dans son ensemble.

Le cléricalisme, insiste aussi le pape François, déforme la relation de l’Eglise à sa mission dans le monde. L’énergie qui devrait être dépensée pour aider à orienter et habiliter le corps au service de la mission de guérison et de réconciliation du Christ est gaspillée à préserver des manières déformées de fonctionner en tant que corps. Le cléricalisme est alors comparable à un cancer qui s’attaque aux cellules saines du corps, les privant de l’énergie dont elles ont besoin pour continuer à fonctionner et à s’épanouir.

En abordant le cléricalisme par sa dimension communautaire, le pape ne nie pas la réalité du péché personnel ou la nécessité d’une réforme structurelle; mais il ouvre la voie à une solution à taille humaine. Je crois qu’il essaie de donner au peuple de Dieu le pouvoir d’exercer son libre engagement dans la mission du Christ et de revendiquer son autorité dans l’Église. Il essaie de faire la lumière sur le fait que les membres du Corps du Christ ne sont pas impuissants à agir.

A quoi pourrait ressembler une telle action? Où commence la conversion communautaire, la guérison du cléricalisme en tant que maladie de tout le corps? Elle commence dans les communautés locales, à la base, par l’implication des membres de la communauté dans les tâches qui permettent à la paroisse et au diocèse de servir la mission du Christ auprès des pauvres et des délaissés: répondre aux besoins de la vie liturgique et sacramentelle et participer activement à l’administration des biens de la paroisse, etc. La conversion peut passer par des gestes aussi simples que d’accompagner le pasteur et de l’aider à exercer son leadership différemment, de le féliciter parfois ou de le confronter avec compassion, de lui rappeler qu’il doit laisser s’épanouir le leadership naturel de tel ou tel membre de la paroisse. C’est ce qu’un paroissien a fait récemment en s’exprimant haut et fort durant la messe. Dans ma propre expérience de vie paroissiale, le prêtre et le pasteur aspirent à un réel engagement avec leur communauté. Elle peut passer aussi par la participation aux synodes diocésains, par l’écriture de lettres à l’évêque non seulement pour se plaindre, mais aussi pour le remercier.

Cela signifie accepter la vérité que dans le Christ nous ne sommes pas impuissants, que nous sommes des membres à part entière du peuple de Dieu et que personne ne peut nous enlever cette appartenance; il faut ensuite agir avec patience, compassion et espoir à partir de cette vérité.

Il y aura de la résistance, il y aura des écueils, il y aura beaucoup d’apprentissage de tous côtés. Mais nous deviendrons de plus en plus conformes à l’image et à la ressemblance de celui dont nous servons la mission.

Gilles Mongeau, S.J.


Quelques lectures de référence:

Expert says abuse of power at root of sexual abuse crisis in Church

We can only move forward when we name the evil of clericalism

Meeting the monsters: a restorative response to the crisis of sexual abuse in the Roman Catholic Church

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