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Mère Nature et frère Hudon

Frère Bernard Hudon, SJ

« La plus belle semaine de ma vie a été une excursion en canot-camping avec les pionniers. On a descendu 100 km, on a eu 5 minutes de pluie et ça a été extraordinaire », me dit le frère Bernard Hudon, jésuite québécois, quelques dizaines de minutes après notre entrevue pendant laquelle je lui avais demandé quels avaient été les moments consolants de sa vie. La nature et le contact avec les autres, notamment comme formateur, ont été des éléments marquants de cette entrevue, qui donne envie d’aller prendre un bain de nature.

Regard sur un jésuite qui se dit lui-même « biologiste de Dieu ».

Comment votre relation à la nature a-t-elle formé votre spiritualité et comment vous a-t-elle guidé vers les jésuites?

J’ai été façonné par le mouvement scout, comme jeune et comme moniteur. Ça m’a beaucoup marqué, l’idée de l’éducation sociale, du contact avec la nature. Ensuite, je suis devenu moniteur en colonie de vacances. Je me sentais aussi à l’aise accoté sur une bûche que dans un La-Z-Boy. J’ai vécu mes expériences spirituelles en forêt, tout en étant en contact avec des jeunes.

J’ai d’ailleurs découvert, une fois devenu jésuite, que la prière scoute était une prière jésuite, et que la Compagnie avait lancé le mouvement scout dans le monde francophone. Donc, dans le fond, j’ai découvert que ma spiritualité était formée indirectement par les jésuites.

Puis j’ai fait mes études en ville. J’ai fait un DEC en sciences, un bac en biologie.

Mais tous les étés, en forêt, l’idée de la vocation me revenait. J’essayais de lutter contre ça, l’hiver, en étudiant.

Après mon bac, je me suis trouvé un emploi comme professeur dans un cours d’agent de conservation de la faune. Deux mois après avoir commencé à enseigner, les idées vocationnelles ont repris. Alors, là je me suis dit qu’il fallait vraiment que je règle « le problème » avant d’aller plus loin.

Célébrations des 25 ans du frère Hudon comme jésuite

J’ai entendu parler d’une maison qui appartenait au Séminaire de Québec où on pouvait continuer notre emploi ou nos études tout en faisant une réflexion vocationnelle. J’y suis entré et j’ai fait deux ans de réflexion tout en complétant mon certificat en pédagogie. De fil en aiguille, j’ai fait une retraite de Triduum pascal et dès ma première méditation, ça m’a parlé des jésuites. Il faut dire que j’avais fait une retraite vocationnelle au noviciat des jésuites le Noël précédent, et j’avais discerné à ce moment-là de devenir plutôt prêtre au Séminaire de Québec…alors j’étais un peu décontenancé. Maintenant que ma décision était prise, je devais recommencer à discerner!

Ensuite, avec les encouragements du supérieur du Grand Séminaire, j’ai repris contact avec les jésuites et je suis devenu candidat.  Il me restait du temps d’enseignement à faire pour avoir mon brevet d’enseignement, et je voulais avoir ce papier avant d’entrer dans la Compagnie pour m’assurer que si jamais ça ne fonctionnait pas, je puisse me trouver un emploi comme prof. Je suis rentré au noviciat le 1er février 1992.

Donc pour vous, la relation à la nature est essentielle et consolante ?

Oui. Ma première expérience spirituelle a eu lieu en forêt, alors que j’étais moniteur dans une colonie de vacances. J’étais assis, accoté sur un arbre, au bord d’un lac. Et ça m’a beaucoup marqué. J’ai senti l’amour de Dieu de manière personnelle, mais mon expérience avait aussi un aspect d’implication sociale, parce que j’avais à m’occuper d’un groupe de jeunes.

À un autre moment, toujours en colonie de vacances, je me suis réveillé avant que le soleil se lève, alors que je ne suis pas naturellement matinal. J’entendais les oiseaux se réveiller un après l’autre. À la fin du mois d’août, il y a toujours du brouillard sur les lacs. À ce moment-là, je ne savais pas si on allait avoir une journée de pluie ou une journée de soleil, c’était tout gris. Et une journée de pluie, quand tu es avec 24 jeunes, c’est un défi pour le moniteur. J’ai pris un canot, je me suis immobilisé sur le lac et le brouillard a commencé tranquillement à se lever. Finalement, un ciel bleu est apparu et pour moi, ça a été une révélation que la vie est plus forte que la mort. Et que dans le brouillard de nos vies peut se dévoiler la lumière du jour.

Juste de sentir la vie qui apparaissait le matin en entendant les oiseaux, de plus en plus d’espèces d’oiseaux, qui se mettaient à chanter, c’était une révélation.

Pour moi, c’est toujours absolument essentiel d’aller dans le bois au moins une fois par mois. Pour la petite histoire, quand j’ai fait mes entrevues d’admission, avant d’entrer chez les jésuites, on rencontre séparément quatre jésuites et puis on raconte notre vocation. J’avais dit à un de ceux-là que pour moi, c’était essentiel que je puisse aller en forêt régulièrement, étant donné qu’une grosse partie de ma spiritualité était en forêt. Il y en a un qui m’avait répondu : « Ah tu vas voir, on a un chalet en bois rond sur le bord d’un lac. Ça devrait te suffire. » Alors, dès mon premier mois au noviciat, à la petite maison Saint-Michel je suis allé voir la villa. Et quand j’ai vu la maison en bois rond sur le bord du lac, ça m’a vraiment marqué.

Avez-vous pu continuer à être en contact avec la nature même après votre entrée chez les jésuites?

Le noviciat comporte un stage long, que j’ai fait pour la revue Relations. J’ai monté un dossier sur la gestion des forêts au Québec. Et puis, dans ma retraite de 30 jours, c’était clair pour moi et pour le maître des novices que j’étais appelé à continuer de travailler dans le domaine de l’écologie, alors on m’a incité à me tenir à jour le plus possible dans le domaine. J’ai continué d’aller au congrès des biologistes tous les ans, sauf exception. Et puis, j’ai fait une maîtrise en éthique à l’Université du Québec à Rimouski et j’ai fait mon mémoire sur l’industrie forestière au Québec.

Frère Hudon au travail au Gesù

Après ça, j’ai fait ma régence en travaillant pour la Conférence religieuse canadienne où j’ai inauguré le Comité d’environnement et participé au Comité de justice sociale. Dans le dossier environnement, j’ai monté un mémoire que j’ai présenté à l’Assemblée nationale sur un projet de réforme de la Loi sur les forêts.

Et après ma théologie, j’ai travaillé entre autres au Centre justice et foi. Ce genre de travail de recherche d’écriture dans la revue Relations a été très dynamisant. Et je suis maintenant économe et comptable, parce qu’entre-temps j’ai fait un certificat en comptabilité!

Bref, votre engagement dans la Compagnie de Jésus allie la justice sociale à l’écologie?

Pour les jésuites, l’implication sociale avec l’option foi et justice, c’est essentiel. L’analyse sociale, pour moi, c’est très important. C’est de travailler sur des structures, comme quand on donne notre opinion à l’Assemblée nationale (où je me suis présenté trois fois) en faveur des pauvres et des exclus. Mon moteur, c’est mon amour de la nature. Dans le fond, mes expériences spirituelles, c’est que la force d’aimer la création ou les créatures m’a amené à aimer le Créateur.

Votre engagement est également profondément spirituel, par exemple avec les retraites que vous offrez à la Villa Saint-Michel.

On se sert de la contemplation de la nature et des sciences naturelles comme élément de contemplation de la nature. On fait une excursion où on regarde les plantes et les arbres pour apprendre à les identifier. On recueille du plancton dans le lac, et on le regarde au microscope : ça permet de découvrir une vie que les gens ne connaissent pratiquement pas, à la base de la chaîne alimentaire du lac. Dans le fond c’est ça l’objectif, contempler la nature, parce qu’il faut aimer la nature pour la respecter et rendre grâce au Créateur.

Quand on fait l’évaluation, et que les gens disent qu’ils ont évolué ou qu’ils ont appris beaucoup et que ça les sensibilise à aimer la nature et le créateur, moi ça fait mon bonheur. Juste de donner cette session-là, étant donné que j’ai encore la vocation d’être enseignant, ça me nourrit beaucoup.

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