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L'engagement citoyen

Introduction

Chères sœurs et chers frères dans le Christ,

De la part de la Conférence jésuite du Canada et des États-Unis, je suis très heureux de vous partager le document « Contemplation et action politique : un guide ignacien pour l’engagement citoyen ». Ce document offre une réflexion pour guider notre recherche du bien commun dans la sphère publique à la lumière de notre foi et de nos valeurs ignaciennes.

« Des hommes et des femmes pour les autres », cette expression revient comme un leitmotiv dans la famille ignacienne et est liée à notre travail en justice sociale. Ces mots semblent bien anodins et peut-être les a-t-on répétés trop souvent et qu’ils ont perdu de leur saveur. Mais, lorsqu’en 1973 le père Arrupe, alors supérieur général, les a prononcés pour la première fois devant les anciens étudiants des écoles jésuites, les réactions n’ont pas toutes été positives. En réponse à ce discours, certaines personnes, dans un mouvement de colère, ont démissionné des associations d’anciens étudiants des écoles jésuites. Des membres de la presse ont critiqué le discours et s’en sont pris au conférencier au point où le Pape Paul VI, lui-même, a senti le besoin d’écrire une lettre appuyant le père Arrupe et le remerciant pour son message enraciné dans l’évangile.

Pourquoi donc un tel tollé ?

Le discours du père Arrupe, dans la tradition des prophètes bibliques qui critiquaient leurs propres communautés quand elles bafouaient leurs valeurs, a interpellé toutes les écoles jésuites parce qu’elles ne préparaient pas adéquatement leurs élèves à œuvrer en vue de la justice sociale. Ce message a indubitablement rendu certaines personnes inconfortables. « Nous, les jésuites, avons-nous éduqué en vue de la justice ? Vous et moi savons bien ce que plusieurs de vos professeurs jésuites répondront à cette question. Ils affirmeront, en toute sincérité et humilité : non, nous ne l’avons pas fait, » a dit le père Arrupe. « Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que nous avons du travail à faire. »

Ce sera un travail difficile, a continué le père Arrupe, mais nous avons les outils pour le faire ; des outils encore accessibles pour nous aujourd’hui alors que nous continuons à rechercher la justice pour notre temps. Nous avons la tradition ignacienne de « rechercher sans relâche la volonté de Dieu », de discerner comment Dieu nous appelle à répondre aux signes des temps. L’expression : « Des hommes et des femmes pour les autres » est empreinte d’une volonté de porter attention aux injustices envers ceux et celles qui nous entourent, à développer un « engagement ferme d’être des agents de changements dans la société ; non seulement de résister aux structures et aux arrangements injustes, mais d’entreprendre activement de les réformer. »

Alors que nous répondons à cet appel d’être des agents de changements dans la société, inspirés par l’amour particulier de Dieu envers les personnes marginalisées, nous serons inévitablement entrainés dans la sphère publique pour prendre part au travail urgent et brouillon de la politique. Notre engagement politique et citoyen nous permet de faire entendre nos voix pour plaider en faveur de la transformation des structures sociales qui sont entachées par le péché comme le racisme, le sexisme, le nativisme, l’inégalité sociale, la dégradation environnementale, les attaques contre la vie et la dignité humaine à tous les niveaux, et bien d’autres encore.

« Contemplation et action politique » ne constitue pas un guide d’électeur ; il ne comprend pas une liste exhaustive de questions politiques dont les membres de la grande famille ignacienne doivent prendre soin. C’est avant tout l’application de notre tradition spirituelle ignacienne à notre vie politique collective. J’espère que nous approcherons cette réflexion avec un esprit de prière. Prenez en considération les exemples d’engagements citoyens de notre propre réseau qui parsèment le document ainsi que d’autres qui vous sont familiers. Peut-être pouvons-nous discuter de ce qui nous touche ou nous interpelle avec d’autres membres de nos communautés de foi et comment ces réflexions correspondent à nos contextes particuliers. J’espère et je prie, afin que cette ressource nous offre, en tant que personnes engagées pour une foi au service de la justice, une occasion d’examiner nos engagements en action politique et dans l’établissement d’un dialogue.

Sincèrement vôtre dans le Christ,

Père Timothy P. Kesicky sj

Président de la Conférence jésuite pour le Canada et les États-Unis

Dieu de grâce, 

Dans ton amour, tu nous as faits,

chacune, chacun, uniques.

Mais il n’était pas bon que nous soyons seuls

et tu nous as insérés dans une communauté.

Et tu nous as donné à chacune, à chacun un objectif:

celui de te servir en servant notre famille humaine,

et d’être, en retour, protégés et formés par elle.

Tu as fait de nous le Corps du Christ.

À nous qui sommes tes enfants, tu as enseigné à être

des femmes et des hommes pour les autres:

à marcher avec les exclus.

À protéger le monde d’abondance, la maison commune que tu nous as donnée.

À susciter chez les jeunes un esprit de créativité et de rencontre,

où ta voix puisse se faire entendre.

Et à indiquer aux autres, par notre façon d’avancer, un chemin vers Dieu.

En réfléchissant à ton appel

à bâtir une société juste et durable où tout cela soit possible,

nous nous tournons humblement vers toi:

Donne à notre corps la force et la détermination.

Comble notre cœur de la compassion des saintes et des saints.

Éclaire notre intelligence de ta sagesse et de ta vision.

Trempe notre esprit de foi et de vérité.

Sers-toi de nos mains pour jeter des fondations durables

et bénir les générations à venir.

Seigneur, tu nous invites à te trouver en toutes choses.

Alors que nous collaborons à édifier notre société,

Donne-nous de te trouver.

Dans nos principes et nos lois,

Donne-nous de te trouver.

Dans nos politiques et nos programmes,

Donne-nous de te trouver.

Dans nos tribunaux et nos régies,

Donne-nous de te trouver.

Dans nos rues et sur nos places,

Donne-nous de te trouver.

Et dans notre prochain, celui surtout qui est dans la marge,

Donne-nous de te trouver. 

Nous te le demandons par le Christ, notre Seigneur.

Amen.

Nous pouvons imaginer pour les membres de la famille ignacienne plusieurs manières d’utiliser ce document — que ce soit dans notre prière personnelle ou en échangeant avec d’autres.

Peu importe la façon dont vous l’aborderez, il faut garder trois choses en tête :

  1. Des sujets de réflexion sont présentés à la fin de chaque section afin d’encourager la prière personnelle à partir du document et d’encourager la discussion communautaire. L’inclusion de personnes qui représentent un éventail de perspectives politiques différentes peut enrichir les discussions.
  2. Le document est plus long qu’un article de presse et plus court qu’un livre ; ainsi vous pouvez le lire au complet ou simplement en utilisant certains extraits. Une proposition de lecture en trois parties est présentée plus bas. Celle-ci peut être utile pour la planification de discussions de groupes réparties sur plusieurs rencontres.
  3. Soyez ouvert d’esprit et de cœur ! Il s’agit d’un document de réflexion spirituelle et non pas d’une liste interminable de questions politiques et de propositions de politiques, merci d’en prendre connaissance en respectant l’esprit dans lequel il a été écrit : lisez lentement et dans une attitude de prière au lieu de le survoler trop vite ; prenez le temps d’accueillir chaque sujet de réflexion avec les questions qui y sont rattachées. Quelles émotions ressentez-vous à leur lecture ? Êtes-vous interpellé ? Encouragé ? Consolez ? Au cours de votre lecture, prenez note de l’action de Dieu dans votre vie.

Voici quelques contextes potentiels d’utilisation du document :

  1. Lisez et réfléchissez par vous-mêmes
  2. Lisez et discutez avec un groupe « d’amis dans le Seigneur »

Si vous avez un groupe « d’amis dans le Seigneur » (c’est comme cela qu’Ignace appelait les premiers jésuites) qui aimerait se rassembler et discuter de spiritualité et de justice sociale, vous pourriez utiliser ce document comme document de base de la discussion. Pensez à inviter différents membres du groupe à assurer la modération de la conversation sur les différentes sections.

  1. Apportez-le à un groupe de partage de la foi d’une paroisse ou à un centre de retraite

De vibrantes petites communautés de foi qui se rencontrent régulièrement ou une fois par saison sont de magnifiques occasions pour la croissance spirituelle. Si vous faites partie de l’un de ces groupes ou considérez en commencer un, vous pourriez prendre une à trois rencontres pour discuter de ce document.

  1. Dans une école secondaire ou une classe universitaire

Le document est accessible pour des jeunes à partir du secondaire. Les cours sur l’enseignement social catholique ou la justice sociale selon la tradition ignacienne pourraient trouver ce document intéressant. Les groupes parascolaires engagés dans des services communautaires et des initiatives de justice sociale pourraient également profiter de la lecture du document et des échanges qui suivraient.

Le message contre-culture du Pape François : « un bon catholique se mêle de politique. »

Il serait difficile de partager un message contre-culture plus fort que celui du Pape François lors d’une de ses homélies en 2013 : « Le bon catholique ne doit pas se désintéresser de la politique, il offre le meilleur de lui-même, pour que le gouvernant gouverne bien  » a-t-il dit. « La politique, selon la doctrine sociale de l’Église, constitue l’une des plus grandes formes de charité, parce qu’elle sert le bien commun. Je ne peux pas m’en laver les mains; nous avons tous quelque chose à offrir! ».

Arrêtons-nous à ce que le Pape François nous dit : une participation politique est non seulement louable, mais elle est une des plus « grandes formes de charité. »  Charité, ou caritas en latin, constitue la plus grande vertu théologique et est un mot qui remplace ce que nous appelons plus communément « amour ». Ainsi, le Pape François affirme que la politique est une importante façon d’aimer Dieu en aimant notre voisin d’une manière incarnée et concrète. Les catholiques sont appelés à s’engager en politique; et même à « entrer dans la mêlée! Au lieu de se désengager et de se tenir à l’écart du désordre de la vie politique.

Un grand contraste apparait entre le ton encourageant du Saint-Père et certains des adjectifs qu’on associe souvent aujourd’hui au mot « politique »; des descripteurs tels que polarisée, dysfonctionnelle, laide, vitriolique ou même irrécupérable.

On serait justifié de se demander ce que le Pape souhaitait vraiment dire.

En fait, la perspective positive du Pape François sur ce que peut être la politique n’est pas nouvelle du point de vue catholique. Celle-ci fait écho au thème que l’on retrouve à travers les écrits pontificaux des 125 dernières années, comme dans l’encyclique du saint Pape Jean-Paul II. « Evangelium Vitae » (L’Évangile de la vie ») : « En vertu de la participation à la mission royale du Christ, le soutien et la promotion de la vie humaine doivent se faire par le service de la charité, qui se traduit dans le témoignage personnel, dans les diverses formes de bénévolat, dans l’animation sociale et dans l’engagement politique. » (no 87, les caractères gras sont de nous.)

Leur vision commune de la politique en tant que pratique louable reflète l’enseignement catholique sur le rôle essentiel des gouvernements à tous les paliers pour protéger la dignité humaine et promouvoir le bien-être de tous. De plus, le Pape François et ses prédécesseurs ont travaillé avec une large définition de ‘politique’ qui transcende les bagarres partisanes. Ils réfèrent davantage aux façons dont les communautés locales, nationales et même internationales se rassemblent pour prendre des décisions affectant leur vivre-ensemble.

En dépit du triste état dans lequel se trouve généralement notre vie politique actuelle, il est essentiel de faire entendre nos voix de croyants dans la sphère publique; de participer à des débats légaux sur des questions spécifiques, de participer à l’organisation des communautés et d’exercer son droit de vote, ce sont là des activités essentielles en tant que disciples de Jésus. Pourquoi? Parce que la participation citoyenne est l’une des manières les plus puissantes de répondre à la mission de l’évangile du Christ de nourrir les affamés, donner à boire aux assoiffés, d’accueillir l’étranger, de vêtir ceux et celles qui sont nus et de soigner les malades et de visiter les prisonniers avec compassion (cf. Mt 25, 31-46). Nous nourrissons les affamés en offrant un service direct, nous répondons aux besoins individuels au fur et à mesure qu’ils se présentent. Mais nous allons aussi aux racines des maux sociaux et tentons de changer les systèmes et les structures afin qu’il n’y ait plus personne qui ait faim. Cette dernière partie requiert que l’on s’engage en politique.

Réflexion et discussion :

Selon moi, la politique constitue-t-elle l’une des plus grandes expressions de la charité? Pourquoi ou pourquoi pas?

La pandémie de la covid-19 est un rappel flagrant que nous sommes tous une seule famille humaine et que nous sommes appelés à coopérer pour le bien commun de tous.

Une femme fait la queue sur le parking du Centre catholique espagnol de Catholic Charities à Washington le 15 juillet 2020 pour prendre des vivres gratuits. Les agences de Catholic Charities USA ont fourni une aide de près de 400 millions de dollars au cours des quatre premiers mois de la pandémie de coronavirus. CNS photo/Chaz Muth

C’est une image impossible à oublier : Le Pape François, seul par une nuit pluvieuse sur la Place Saint-Pierre, à Rome; il prie pour le monde durant la pandémie de la covid-19.

 Faisant le lien entre notre expérience commune et l’histoire évangélique de Jésus apaisant la tempête, le Saint-Père a déploré les injustices que nous avons ignorées tout au long des années qui ont mené à la pandémie et qui se révèlent de manière si saisissante maintenant. Même si le coronavirus ne discrimine pas, on sait que les plus pauvres et les plus vulnérables sont affectés de manière disproportionnée par les maladies généralisées. « Dans ce monde, que tu aimes plus que nous, nous sommes allés de l’avant à toute vitesse, en nous sentant forts et capables dans tous les domaines. Avides de gains, nous nous sommes laissés absorber par les choses et étourdir par la hâte. Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et à des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravement malade. Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans un monde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons. « Réveille-toi Seigneur! »

Que répondrons-nous? Le Pape François nous dit que nous vivons un « temps de choix ».  Nous replierons-nous sur nous-mêmes? Avec une mentalité du « moi et les miens » avant tout? Ou bien saisirons-nous ce temps pour nous rappeler que nous sommes tous les gardiens de nos frères et de nos sœurs, peu importe où ils se trouvent? « Le Seigneur nous interpelle et, au milieu de notre tempête, il nous invite à réveiller puis à activer la solidarité et l’espérance capables de donner stabilité, soutien et sens en ces heures où tout semble faire naufrage, » a ajouté le Pape cette nuit-là. « Le Seigneur se réveille pour réveiller et raviver notre foi pascale. »

Avec la pandémie, de nombreuses personnes ont déjà adopté de nouvelles façons d’être, de travailler et de prier ensemble, le tout facilité par la technologie.  Mais cela prendra des années avant que nous prenions la mesure des impacts de la covid-19 sur notre vie politique commune. Nous prions pour la grâce d’être conscient de notre interconnectivité et de répondre à la pandémie par un engagement renouvelé envers la protection des plus vulnérables.

L’engagement civique ignatien exige d’affronter le racisme systémique.

Baalbek, Dar al Hanan School. photo / Le Service Jésuite des Réfugiés

Nous proposons les réflexions que voici dans le sillage des manifestations antiracistes qui ont balayé et débordé les États-Unis. L’exécution de George Floyd, celle de Breonna Taylor et celle d’Ahmaud Arbery ont ajouté leurs noms à la liste affligeante, interminable, des femmes et des hommes de couleur tués par des policiers ou des justiciers [armed vigilantes]. Leurs morts violentes crient justice. Elles nous inspirent une tristesse et une colère profondes. Notre détermination à protéger la vie et la dignité de la personne humaine exige que nous affrontions le racisme partout où il existe. Un engagement politique fondé sur notre foi en Jésus Christ, qui ne s’efforce pas de démanteler le racisme systémique reste lamentablement incomplet.

La Compagnie de Jésus reconnaît son implication dans le racisme systémique. Pratiquement depuis la fondation de l’ordre, les jésuites ont participé à l’esclavage et à la traite des esclaves à l’échelle mondiale. De l’époque coloniale à l’adoption du 13e amendement, le travail contraint des esclaves dans ce qui est aujourd’hui les États-Unis a contribué à établir, à développer et à soutenir les efforts missionnaires et les établissements d’enseignement des jésuites. Après l’abolition de l’esclavage, si certains jésuites ont contribué de manière importante à des causes comme la déségrégation, d’autres jésuites ont trop souvent continué de s’associer à des pratiques racistes telles que l’asservissement pour dettes, la négation aux travailleurs noirs d’une compensation équitable, le refus d’admettre les hommes noirs dans l’ordre et la perpétuation de la ségrégation dans les lieux de culte, les écoles et ailleurs.

Il n’y a que quelques années que les jésuites du Canada et des États-Unis ont commencé de regarder en face ce lourd héritage. Aux États-Unis, par exemple, le projet « Esclavage, Histoire, Mémoire et Réconciliation » [Slavery, History, Memory and Reconciliation Project] étudie l’histoire vécue des personnes asservies qu’a possédées la Compagnie de Jésus. Le projet veut permettre une démarche transformatrice de divulgation de la vérité, de réconciliation et de guérison : il s’agit, dans le cadre de conversations avec les descendants de celles et ceux qui étaient en esclavage, de reconnaître les torts historiques, de chercher à restaurer les relations et de travailler avec nos communautés à corriger les séquelles de l’esclavage qui subsistent aujourd’hui dans les inégalités raciales.

Au Canada, les jésuites ont participé à la Commission de Vérité et Réconciliation (CVR) qui a fait enquête sur le traumatisme subi par les élèves autochtones des pensionnats indiens. Cette démarche les a amenés à dire : « ‘nous sommes responsables’, puis ‘nous regrettons’ et enfin ‘nous avons besoin de votre aide’ ». Les jésuites canadiens ont demandé pardon de manière officielle pour les conditions très dures, les punitions cruelles et les agressions sexuelles à l’école qu’ils dirigeaient ainsi que pour leur complicité avec un système qui avait pour but d’assimiler la culture autochtone traditionnelle. Ils ont répondu aux Appels à l’action de la CVR en lançant un certain nombre d’initiatives, et ils disent leur reconnaissance aux nombreux Autochtones qui continuent de les accueillir comme pasteurs et amis.

Oui, le racisme est un problème politique et une fracture sociale. Mais radicalement, le racisme est une maladie de l’âme.

Ce travail exige un engagement à long terme. Nous devons continuer de déplorer et de corriger nos manquements. Nous devons continuer de travailler avec les descendantes et les descendants d’esclaves, nos partenaires autochtones et d’autres personnes de couleur afin de contrer le racisme à l’intérieur et à l’extérieur de la Compagnie de Jésus.

Le père Bryan N. Massingale, professeur de théologie à l’université Fordham et l’une des voix les plus respectées sur la justice raciale au sein de l’Église des États-Unis, nous invite toutes et tous à prier en luttant contre le racisme. « Oui, le racisme est un problème politique et une fracture sociale. Mais radicalement, le racisme est une maladie de l’âme. C’est une profonde déformation de l’esprit qui amène des êtres humains à créer des communautés où l’on se montre indifférent et impitoyable à l’égard de sœurs et de frères à la peau plus sombre », écrit-il en juin 2020 dans le National Catholic Reporter. « Cette maladie de l’âme ne peut être guérie que par une prière profonde. Oui, il faut des réformes sociales. Il faut l’égalité des chances en matière d’éducation, un changement des pratiques policières, un accès équitable aux soins de santé, la fin de la discrimination en matière d’emploi et de logement. Mais seule une invasion de l’amour divin arrivera à ébranler les petites images de Dieu qui nous permettent de vivre confortablement sans être dérangés par le racisme qui profite à certains et en terrifie tant d’autres. »

Les nombreux croyants et les nombreuses croyantes que leur foi a poussés à s’élever contre le racisme un peu partout à travers le monde sont des exemples de l’engagement civique fondé sur l’Évangile que nous préconisons ici. Nous prions pour que l’amour de Dieu envahisse nos cœurs et nous inspire de lutter pour la justice raciale.

Le Service Jésuite des Réfugiés – Canada cherche à accompagner, servir et défendre la cause des réfugiés et autres personnes déplacées, afin qu’ils puissent guérir, apprendre et définir eux-mêmes leur avenir.

Par exemple, explique Marc-André Veselovsky, SJ, « on va participer à une manifestation organisée par The Migrants Right Network avant le discours du trône de 2020 pour montrer et démontrer aux politiciens que nous sommes pour un statut pour tous ». 

Un de leurs objectifs est de mettre en lumière la réalité des personnes réfugiées pour que les Canadiens puissent agir par la suite. C’est très ignatien, souligne M. Veselovky. « La pédagogie ignatienne n’est pas uniquement intellectuelle, mais affective et relationnelle. C’est vivre une expérience et en discuter pour savoir quelles sont les émotions que je vis et comment je veux y réagir d’une manière positive qui me rend plus proche de Dieu et des autres, plus disponible à l’aide du prochain. »

Ainsi, l’exercice de simulation « Un voyage en exil » (qui permet aux participants de vivre ce que vit un réfugié lorsqu’il doit fuir son pays) peut également stimuler l’engagement civique. Par exemple, après que le SJR – Canada ait fait l’exercice dans un Cégep à Montréal, les étudiants et l’enseignante étaient si émus qu’ils ont décidé de parrainer une personne réfugiée africaine. Après son installation au pays, la classe s’est assuré qu’il ait un appartement, connaisse les services sociaux, etc.

La famille ignacienne, en mission de réconciliation et de justice et guidée par les quatre préférences apostoliques universelles, peut aider à améliorer la vie politique.

L’appel du Pape François à mettre notre foi au service de la vie citoyenne résonne profondément avec nos valeurs ignaciennes : nous sommes engagés à être des « femmes et des hommes pour les autres », surtout auprès de ceux et celles qui vivent en marge de la société. La 36e congrégation générale jésuite, qui a eu lieu en 2016, a appelé tous les jésuites et leurs partenaires laïques à travailler ensemble dans une mission de réconciliation et de justice, comme « nous entendons le Christ nous appeler à un ministère renouvelé de justice et de paix. » Nous sommes inspirés par des générations de jésuites, en commençant avec saint Ignace et les premiers compagnons, ils nous offrent des modèles de vie de contemplatif en action alors qu’ils puisent dans leur foi pour s’engager dans le monde au lieu de s’en retirer. Une participation citoyenne, guidée par ces valeurs et par notre foi en un Dieu qui porte une attention toute spéciale aux pauvres, peut nous aider à améliorer la politique.

Nos réflexions sur la participation politique sont guidées par les préférences apostoliques universelles (PAU), les quatre fils conducteurs du ministère jésuite. Les PAU sont le fruit d’un processus de discernement de plusieurs années à travers toute la Compagnie de Jésus; elles ont été confirmées par le Pape François et promulguées par le supérieur général, le père Arturo Sosa. Celles-ci constituent un cadre essentiel pour réfléchir sur notre foi et la mettre en pratique dans la sphère publique.

Les quatre Préférences Apostolique Universelles sont :

  • Promouvoir le discernement et les Exercices spirituels: aider les gens à trouver Jésus Christ et à le suivre.
  • Marcher aux côtés des pauvres, des personnes blessées dans leur dignité, des exclus et de ceux que la société considère sans valeur, dans une mission de réconciliation et de justice.
  • Cheminer avec les jeunes : les accompagner dans la création d’un avenir plein d’espoir.
  • Prendre soin de notre maison commune : travailler, avec la profondeur de l’évangile, à la protection et au renouveau de la création divine.

Les simples énoncés des PAU démontrent qu’elles ont beaucoup à apporter à la vie citoyenne; celles-ci serviront donc de toile de fond lors de notre méditation, éclairée par les valeurs ignaciennes, sur notre participation dans le processus politique.

Des questions pour faciliter la discussion sont présentées tout au long du document et nous espérons que ce guide encouragera la conversation et un renouvellement de notre engagement à la participation citoyenne à travers toute la famille ignacienne, de nos écoles, collèges et universités à nos paroisses et centres sociaux et des bureaux provinciaux jusque dans les communautés jésuites ainsi que dans tous les apostolats qui perpétuent la tradition ignacienne.

Réflexion et discussion :

De quelle manière suis-je appelé à vivre ma foi en public?

La spiritualité ignacienne détermine notre participation citoyenne

Les Exercices spirituels et le discernement ignacien sont au cœur de la mission jésuite. Toutes nos œuvres sont enracinées dans la tradition spirituelle ignacienne et cherchent, à leur manière, à montrer le chemin vers Dieu. Comme l’a écrit le Pape François, dans sa lettre de confirmation des PAU, « Sans une attitude de prière, les autres préférences ne porteront pas de fruit. » Ainsi, une contemplation priante de notre contexte constitue le point de départ quand nous réfléchissons sur la participation politique du point de vue ignacien.

Réflexion et discussion :

En tant que personne engagée à suivre Jésus, comment ma participation politique reflète-t-elle cet engagement? Comment la spiritualité ignacienne et le discernement peuvent-ils guider ma participation à la vie citoyenne? Comment mon engagement citoyen peut-il en retour faire partie de ma prière?

Nous tentons de trouver Dieu en toutes choses, y compris la politique.

photo / Oliver Capko, SJ

« Vous prononcez la bénédiction avant les repas. C’est bien, » a écrit G.K. Chesterton, dans un passage qui fait écho à la réflexion de saint Ignace à l’effet que Dieu est en toutes choses. « Mais je bénis Dieu avant le concert et l’opéra, je le bénis aussi avant le théâtre et le mime, et aussi en ouvrant un livre, avant de dessiner, de peindre, de nager, avant de croiser le fer en escrime, avant de boxer, de marcher, de danser et je le bénis avant de tremper ma plume dans l’encre. » Nous pouvons ajouter notre vie politique à cette liste, confiant que Dieu est toujours à l’œuvre dans le monde, même quand je l’oublie ou quand la présence de Dieu n’est pas toujours visible à première vue.

Si nous approchons la notion d’engagement citoyen en y cherchant la présence de Dieu dans le chaos de la politique, comment faire en sorte que notre participation soit différente de l’esprit plus sombre que nous retrouvons souvent dans les bulletins de nouvelles ou les médias sociaux? Peut-être y trouverons-nous quelques-uns des mêmes fruits qui souvent viennent quand on prie avec l’Examen quotidien : une plus grande gratitude, une conscience plus profonde de la présence de Dieu dans des endroits inattendus, l’humilité en reconnaissant nos propres limites, tout cela accompagné de la confiance en un Dieu miséricordieux qui nous aide à grandir. Ce sont tous des dons du Saint-Esprit qui pourrait beaucoup contribuer à notre vie politique. C’est avant tout notre désir de trouver Dieu en toutes choses qui nous attire vers la vie politique. Le fondement de notre engagement citoyen est de reconnaître la dignité de tous les êtres humains, chacun d’eux ayant été créé à l’image de Dieu et qui représente le visage du Christ, du temps de la conception jusqu’à la mort naturelle, et ce à travers toutes les étapes de la vie.

Réflexion et discussion :

Trouver Dieu dans la politique peut constituer tout un défi. Quelles prières ou pratiques peuvent m’aider à y discerner l’action de Dieu?

« La question pro-vie en général, d’un point de vue ignatien, est le respect du don que Dieu a fait de notre propre vie », explique Oliver Capko, SJ. Il faut alors chercher comment nous enraciner dans l’émerveillement et abandonner la peur afin de parvenir à un engagement civique sur cette question.

Une partie de l’activisme d’Oliver dans le mouvement pro-vie est son désir de protéger la vie humaine en tant que partie intégrante de l’environnement. Nous devons prendre soin de la création afin que les enfants de nos enfants puissent vivre. « Je ne nous vois pas aborder une question sans l’autre. Lorsque nous rejetons l’environnement, nous rejetons la vie humaine. »

En même temps, « il y a un besoin urgent de contempler et de montrer l’humanité des enfants à naître », déclare Blaise Alleyne, diplômé du Regis College. « Nous sommes appelés à être attentifs aux situations qui conduisent les gens à choisir et à soutenir l’avortement ou le suicide assisté, et à aimer et respecter la dignité de chaque personne que nous rencontrons. Notre devoir n’est pas simplement de gagner un argument abstrait, mais de mettre l’amour en action pour changer réellement les coeurs et les esprits, accompagner les personnes confrontées à des circonstances de vie difficiles, et atteindre celles qui ont été blessées par l’avortement avec un message de pardon, d’espoir et de guérison. »

Les Jésuites du Canada se sont engagés à protéger la vie et sa dignité depuis le moment de la conception jusqu’à la mort en résistant à la coupe à blanc des forêts anciennes dans le nord de l’Ontario, en soutenant les réfugiés, en accompagnant les mourants et leurs familles, en travaillant avec la Commission Vérité et Réconciliation, en soutenant les catholiques LGBTQ et en accompagnant les femmes qui envisagent d’avorter ainsi que celles qui ont subi un avortement.

Un grand défi très louable est de s’exercer au détachement de nos propres opinions politiques. Nous sommes appelés à faire des choix à la lumière de l’évangile.

Dans les Exercices spirituels, saint Ignace écrit que Dieu a créé les êtres humains pour « louer, révérer et servir Dieu, » et que nous devrions nous intéresser aux choses, aux expériences et aux personnes que dans la mesure où cela nous aide à accomplir cette mission spécifique. Cela signifie laisser de côté les attachements malsains et tout ce qui m’empêche d’aimer Dieu et mon prochain.

Nos propres opinions politiques sont une source importante d’attachements, particulièrement en cette période très polarisée.  Nous pouvons être si ancrés dans nos préjugés que des études récentes suggèrent que les idéologies politiques individuelles façonnent très souvent nos principes éthiques, au lieu du contraire – l’opposé de ce qu’exige notre foi.

« Notre défi est de laisser l’enseignement de l’Église, notre foi, l’évangile et la personne du Christ elle-même être la lumière qui éclaire l’organisation de notre vie politique et nos engagements dans le domaine politique, et dans le monde de la politique, » a dit l’évêque de Brownsburg au Texas, Daniel E. Flores, lors d’une entrevue sur cette question, en février 2020. « Nous devons être engagés dans la société, mais l’évangile doit être la lunette principale qui nous permet de juger des situations. Mais parfois – et nous n’en sommes pas toujours conscients – nous inversons les choses et nous jugeons l’évangile à travers la lunette de nos positions politiques. Et je pense que c’est là l’une des sources de la division au sein de l’Église. »

Quand nous laissons l’enseignement social catholique guider nos priorités, nous pouvons voir que notre défense constante et cohérente de la vie et de la dignité humaine nous laisse « sans-abris sur le plan politique », parce que nous défendons des positions qui ne se conforment à aucune plateforme politique. Les évêques des États-Unis décrivent magnifiquement cette constante dans leur document : « Communities of Salt and Light » :

À une époque où l'individualisme est omniprésent, nous défendons la famille et la communauté. À une époque de consommation effrénée, nous insistons sur le fait que ce n'est pas ce que nous avons, mais la façon dont nous nous traitons les uns les autres qui compte. À une époque qui ne valorise ni la permanence ni le travail acharné dans les relations, nous croyons que le mariage est éternel et que les enfants sont une bénédiction, et non un fardeau. À une époque d'isolement croissant, nous rappelons à notre nation sa responsabilité envers le monde entier : elle doit rechercher la paix, accueillir les immigrants, protéger la vie des enfants et des réfugiés qui souffrent. À une époque où les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent, nous insistons sur le fait que le test moral de notre société est la façon dont nous traitons et prenons soin des plus faibles d'entre nous.

Le détachement dans les conversations politiques et la participation citoyenne signifie rester ouvert à la possibilité que quelqu’un, avec qui nous sommes en désaccord initialement, puisse se révéler avoir raison, ou que toute la vérité ne se retrouve pas nécessairement au sein d’un seul parti ou sur la plateforme d’un candidat. Nous approchons les autres avec, en tête, la « présupposition ignacienne » des Exercices spirituels – en étant prêt à interpréter généreusement les opinions de l’autre avant de sauter aux conclusions et lui prêter de mauvaises intentions, et ce même si notre désaccord est important.

Le détachement signifie qu’on essaie de se mettre dans les souliers de ceux et celles qui affichent des opinions différentes et qu’on tente de comprendre leurs motivations, leurs visions du monde et leurs souffrances. C’est seulement en délaissant tous les attachements envers notre perspective étroite que nous serons capables de trouver un terrain d’entente qui constitue le premier pas vers la réconciliation.

Le détachement de nos propres points de vue ne devrait en rien diminuer notre passion pour la justice ou nous empêcher de prendre la parole sur des sujets qui nous tiennent à cœur – nous cherchons à transformer le monde pour le mieux-être de tous, ce qui inévitablement ouvre la porte à des conflits. Considérer toutes les personnes comme des enfants de Dieu, créées à son image et à sa ressemblance, cela exige de nous de traiter tout un chacun avec respect.

Réflexion et discussion :

Dans quelle mesure suis-je détaché de mes croyances politiques? Suis-je vraiment ouvert à la possibilité que certaines de mes positions puissent ne pas être cohérentes avec l’évangile? Comment puis-je m’ouvrir davantage tout en restant fidèle aux principes fondamentaux et à mes valeurs?

Les choix difficiles dans la vie citoyenne nécessitent un discernement.​

Dans tous les moments qui exigent une prise de décision, les jésuites sont « prêts à pratiquer et à élargir le discernement spirituel, tant personnel que communautaire », écrit le père général dans une lettre promulguant les PAU : C’est le choix de chercher et de trouver la volonté de Dieu, toujours, en nous laissant guider par l’Esprit Saint. »

Le discernement n’est pas requis pour les décisions qui présentent clairement les bonnes et les mauvaises options, mais la vie politique est dominée par des questions de jugements qui ne sont pas tranchées au couteau : comment lutter contre la pauvreté? Accueillir les immigrants? Démanteler le racisme? Rendre notre système judiciaire plus équitable? Protéger les membres plus vulnérables de la famille humaine, y compris les enfants à naître?  Nous pouvons contribuer à répondre à ces questions, et à tant d’autres, avec notre tradition de discernement, en créant des espaces physiques et spirituels où tout un chacun a l’espace et le temps de partager, de considérer toutes les perspectives, de peser les pour et les contre, et où des temps de prière et de réflexion encadrent la conversation.

Le véritable discernement exige de nous de prendre soin et de nourrir notre relation avec le Christ au plus profond de notre être. Sans imposer nos points de vue aux autres, il nous faut collaborer pour apprendre davantage sur les espoirs que Dieu a pour notre monde, et les garder au cœur de notre vie, avec l’humilité de savoir que nous ne pouvons pas y arriver seuls.

Réflexion et discussion :

Le discernement dans la sphère politique requiert d’entendre une très grande variété de perspectives, y compris celles que je peux trouver troublantes. Quelles voix dois-je écouter? Lesquelles dois-je mettre de côté?

Dieu nous parle à travers notre société, dans laquelle on trouve le visage du Christ chez les nombreux exclus. Face à l’injustice, loin de paralyser, la spiritualité ignatienne débouche ultimement sur une forme d’engagement, ce que l’on voit au Centre justice et foi.

Par exemple, Élodie Ekobena, du secteur Vivre ensemble, explique que son travail s’inscrit dans une perspective résolument citoyenne et de co-construction avec des personnes de diverses origines, incluant des jeunes. « C’est essentiel parce que les questions que nous soulevons comme les violences policières et raciales les touchent directement. » Ce travail rend les personnes touchées par ces enjeux visibles, libère la parole et la puissance d’agir. « Dès lors l’ignorance ne constitue plus une excuse et un monde juste peut être possible. »

Ariane Collin et Frédéric Barriault travaillent plutôt à un projet sur l’avenir du christianisme social dont l’objectif est de nourrir la vitalité de la mouvance sociale chrétienne au Québec. Il permet notamment à des jeunes de formuler et de réfléchir sur la manière dont leur vie de foi inspire et nourrit leur engagement pour la justice, en plus de leur permettre de rencontrer d’autres personnes poussées par un même élan. Cela facilite et renforce leur action. Comme l’un des participants l’a expliqué : « Je ne trouve pas beaucoup d’endroits où il y a cette ouverture de parler d’intériorité. […] C’est très touchy dans le milieu militant. On a besoin de plus de douceur. 

Notre approche envers la politique est enracinée dans la proximité avec ceux et celles qui vivent en marge de la société.​

L’un des mots favoris du père Greg Boyle sj est « parenté (‘kinship’).

Le père Boyle a fondé, et servi en tant que directeur, les Homeboys Industries, une organisation qui travaille avec les membres des gangs dans le quartier Boyle Heights de Los Angeles.  Il utilise le mot ‘parenté’ pour décrire la vision de Homeboys.

« Servir les autres est une bonne chose, mais c’est simplement le corridor qui mène à la grande salle de bal, » écrit-il dans son classique moderne : « Tattoos on the Heart : The Power of Boundless Compassion,’ ‘Parenté – non pas servir l’autre, mais faire un avec l’autre. »

Cette vision est magnifiquement illustrée dans une section poétique du livre « Tattoos on the Heart », qui décrit un cercle sans cesse grandissant de parenté qui ne laisse personne au-dehors. Cela vaut la peine de le lire en entier :

Aucune lumière du jour ne nous sépare. Seulement une parenté. Nous rapprochant à petits pas les uns des autres, pour créer une communauté de parenté que Dieu lui-même pourrait reconnaître. Puis, avec Dieu, on imagine ce cercle de compassion. Ensuite, on imagine quelqu’un qui se tient à l’extérieur de ce cercle; nous nous rapprochons de plus en plus de la ligne du cercle jusqu’à ce que celle-ci s’efface. Nous nous tenons là avec ceux qui ont perdu leur dignité. Nous nous situons avec les pauvres, les démunis et les personnes sans voix. Aux bords, nous rejoignons ceux que l’on méprise facilement et ceux qu’on exclut d’emblée. Nous nous tenons avec les ceux qu'on diabolise pour que la démonisation s’arrête. Nous nous situons tout à côté de ceux que l’on rejette pour qu’un jour vienne où on arrêtera d’exclure et de rejeter les gens.

Ce passage nous rappelle le Pape François qui parlait de la « culture du jetable » – dans laquelle les pauvres et les vulnérables sont rejetés parce qu’ils ne contribuent pas à l’expansion du marché économique – et de son antidote, la « culture de la rencontre,’ qui interpelle les personnes au pouvoir et avec privilèges à franchir les frontières et à établir des relations avec les personnes repoussées aux marges de la société.

« Marcher avec les pauvres, » comme cela est écrit dans les préférences apostoliques universelles, exige une proximité avec eux, une écoute attentive de leurs histoires et un travail exigeant pour développer une compréhension des injustices sociales qui contribuent à leurs souffrances. Comme l’écrit le père Boyle : « Voici ce que nous cherchons : une compassion bouleversée devant ce que les pauvres doivent endurer plutôt que de juger leur manière d’y faire face. »

Les événements de services communautaires et les services rendus durant de courts voyages d’immersion sont un bon début. Mais nous sommes appelés à aller plus loin. Un lien soutenu et des relations authentiques avec les individus et les communautés vivant en marge peuvent éventuellement mener à notre propre conversion. Un véritable accompagnement aux marges de la société inclut également le fait de s’assurer que les personnes, directement affectées pas l’injustice, sont en mesure de se faire entendre afin de proposer des solutions et d’y travailler. « Les peuples du monde veulent être les artisans de leur propre destinée. Ils ne veulent pas des formes de tutelle ou d’interférence qui permettent aux personnes possédant plus de pouvoir de donner celles qui en ont moins, » a dit le Pape Paul VI dans son encyclique ‘Populorum Progressio » (« Sur le développement des peuples »). L’expression « être une voix pour les sans voix » fonctionne pour les enfants à naître, mais ne tient plus la route lorsque nous travaillons avec des individus et des groupes marginalisés dans la sphère publique.

Souvent, quand nous pensons à ceux et celles qui sont exclus ou opprimés, nous regardons vers l’extérieur – hors des portes de nos écoles jésuites, de nos paroisses ou collèges ou bureaux. Mais, comme l’a souligné la Dr Mary Wardell-Ghirarduzzi, vice-rectrice du programme:  Diversity Engagement and Community Outreach, à l’Université de San Francisco, au cours d’une allocution pour le programme Ignatian Colleagues, l’appel des PAU d’accompagner le pauvre nous demande de « nous séparer de cette invisibilité qui est en nous et parmi nous, alors même que nous accomplissons ce beau et remarquable travail en tant que communauté bien-aimée. Nous sommes appelés à réfléchir à ceux qui sont pauvres parmi nous. » La famille ignacienne et notre large réseau d’institutions ne sont pas à l’abri du péché d’exclusion fondé sur l’origine ethnique, le genre et plus encore. Alors que nous aspirons à accompagner ceux qui sont opprimés et à vraiment apprendre d’eux, il est essentiel de commencer dans notre propre maison.

Réflexion et discussion :

Combien de mes amis appartiennent à une classe sociale, une ethnie ou une culture différente de la mienne?

La création d’un monde plus équitable requiert des changements sociaux aux niveaux local et national.

L’œuvre jésuite « Foi et joie » vise à transformer les dures réalités sociales et économiques en Haïti grâce à des communautés fondées sur l’éducation.  Le mouvement Foi et Joie administre 17 écoles et éduquent plus de 4 000 étudiants à travers les campagnes haïtiennes.   Il offre de la formation aux enseignants et des ateliers au gouvernement afin d’améliorer l’éducation dans toutes les écoles du pays. Dans les communautés rurales, Foi et joie fournit une éducation pratique, et encouragent les étudiants à devenir entrepreneurs, leaders ou avocats pour leurs propres communautés.

Les familles haïtiennes vont tout sacrifier pour l’éducation de leurs enfants, » dit Emilio Travieso sj, directeur adjoint de Foi et Joie. « Mais si nous inversons les choses et si nous arrivons à faire de l’école un endroit qui génère de la richesse, alors nous pourrons aussi créer des emplois. »

Le partenariat de Foi et joie avec les fermiers locaux pour qu’ils enseignent l’agriculture durable en apiculture aux élèves, est une des initiatives qui adopte cette approche créative. L’entretien de ruches aide non seulement les fermes existantes avec la pollinisation, celles-ci offrent aussi une seconde source de revenus avec la récolte du miel. Apprendre ces habiletés pratiques et des stratégies pour les petites entreprises préparent les étudiants à renforcer leurs économies locales après leur graduation.

Nous entendons les histoires des personnes marginalisées et nous lisons les signes des temps. Cette « double écoute » nous façonne ainsi que nos priorités politiques et nos actions.

Notre proximité étroite avec les pauvres et les personnes vulnérables a fait naître un désir de travailler en justice sociale en utilisant l’action politique. L’amitié nous a transformés et nous ne pouvons que désirer travailler ensemble pour transformer les structures sociales qui oppriment nos amis.

Dans le livre de l’Exode, Dieu entend le cri des israélites réduits en esclavage et il intervient en leur faveur. L’amour particulier de Dieu pour les opprimés devrait toujours être présent dans nos cœurs et dans nos esprits, déterminant nos priorités politiques. Nous ne jugeons pas l’économie par ce qu’elle rapporte aux plus aisés, mais ce qu’elle fait pour ceux et celles qui sont matériellement pauvres.

Dans son livre “Companions of Christ: Ignatian Spirituality for Everyday Living”, Margaret Silf écrit à propos d’étendre une écoute attentive et respectueuse à l’ensemble du monde autour de nous, dans le cadre d’une pratique de « lecture des signes des temps. »

Ce travail de lecture des signes des temps selon Silf :

Signifie entrer en contact avec les courants invisibles sous-jacents à la surface immédiate de la société, et discerner, à ce niveau, ce qui nous mène vers une plus grande humanité, et ce qui diminue notre humanité. » En chacun de nous se trouvent un mystique et un prophète potentiel. Le mystique ressent ce qui se passe vraiment sous la surface des choses, celui qui remarque le divin au milieu de ce qui est ordinaire et qui voit les autres avec les yeux de Dieu.  Le prophète répond à ce que le mystique voit, interpelle tout ce qui menace d’affecter la marche de l’humanité vers une vie en abondance, et encourage tout ce qui nourrit et stimule ce cheminement.

Cette image d’un mystique et d’un prophète présents en chacun de nous fait écho à l’engagement des jésuites d’être des « contemplatifs dans l’action. » Nous contemplons le visage du Christ dans ceux qui souffrent aux marges et nous portons une grande attention aux forces sociétales qui façonnent nos communautés. Nous discernons nos priorités à partir de cette « double écoute ». Et ce discernement nous mène vers l’action prophétique.

Réflexion et discussion :

Quelles sont les forces sociétales qui menacent le plus la vie et la dignité humaines aujourd’hui?

L’un des signes des temps que nous ne pouvons pas ignorer : notre planète est en péril.

photo / Ignatius Old-Growth Forest

« Vous souvenez-vous d’un cadeau que vous avez été ravi de recevoir? Peut-être est-ce un vêtement ou un bijou ou une œuvre d’art. Peut-être est-ce un cadeau fabriqué par votre enfant ou un ami, ou encore un bien de famille reçu par des grands-parents bien-aimés, » écrit le père Greg Kennedy sj, du Ignatius Jesuit Centre à Guelph, en Ontario, Canada. « Peu importe ce que c’est, visualisez-le et souvenez-vous du moment où vous l’avez reçu. Visualisez la personne qui vous l’a donné. Revoyez son visage.

« Maintenant, imaginez l’expression de son visage alors qu’elle vous regarde le jeter dans la toilette ou le fracasser avec un marteau. »

C’est comme cela que nous traitons Dieu, qui nous a offert notre maison commune comme un cadeau, alors que nous détruisons la terre de manière éhontée, écrit Kennedy. « Comment le créateur de la terre doit-il se sentir quand il voit à quel point nous sommes malheureux de ce que nous avons reçu ? Si chaque personne de la planète vivait comme un Nord-Américain, consommant et polluant comme nous le faisons, les êtres humains auraient besoin de l’équivalent de cinq planètes pour les faire vivre. Au lieu de dire “merci” nous répétons “est-ce tout ?”

Les mots de Kennedy font écho à l’encyclique révolutionnaire, publiée en 2015 par le Pape François, “Laudato Si’”. La même année, le Saint-Père a publié un extrait du document sur Twitter : “La terre, notre maison, commence à ressembler de plus en plus à un immense tas d’ordures.” Le gazouillis a été partagé plus de 60 000 fois sur le compte anglais seulement, ce qui en fait l’un des gazouillis, écrit par le Saint-Père, le plus retransmis.

La conscience du dommage que nous infligeons à notre planète avec les émissions de gaz à effet de serre et d’autres formes de pollution n’a jamais été si grande et il existe plusieurs moyens à notre disposition pour faire notre part et prendre soin plus fidèlement du don de la création. Se mettre en contact avec la beauté de la création peut nous encourager à en faire davantage pour la protéger. “L’entièreté de l’univers matériel nous révèle l’amour de Dieu et son affection sans borne pour nous. Le sol, l’eau, les montagnes : tout est une caresse de Dieu”, écrit le Pape François dans Laudato Si’ ». “L’histoire de notre amitié avec Dieu est toujours liée à des lieux particuliers qui prennent de fortes significations personnelles ; nous avons tous en mémoire des lieux, et quand nous revisitons ces souvenirs cela nous fait du bien. Quiconque a grandi là-haut dans les collines ou a pris l’habitude de s’asseoir près d’un ruisseau pour y boire, ou a joué dehors au parc du coin ; retourner vers ces endroits constitue une chance de retrouver quelque chose de notre véritable être.” 

Nourrir cette proximité avec la création nous transforme. Prendre part à un examen écologique est une manière uniquement ignacienne de voir comment nous avons déjà été affectés par notre relation avec la nature et comment nous sommes appelés à une conversion plus en profondeur.

L’engagement politique en faveur de la terre est aussi une manière importante de protéger la création. Bien que les efforts individuels et même communautaires pour la réduction de la consommation d’énergie et de biens soient louables et font partie d’une vie vertueuse, les gouvernements peuvent exercer un immense impact positif en votant des lois et en adoptant des politiques qui respectent l’environnement.   Et oui ! Nous devons fermer les lumières quand nous quittons une pièce — mais aussi écrire une lettre à nos représentants légaux ou nous joindre à une manifestation réclamant une action en faveur du climat. Les grèves pour le climat qui se sont déroulées en 2019, et où figuraient une bonne partie de jeunes engagés dans les groupes ignaciens de partout au monde, offrent un bon exemple d’engagement citoyen en faveur de la planète.

Prendre soin de la création est intimement liée à l’accompagnement des pauvres et au travail en justice sociale. Ce lien découle de “l’écologie intégrale”, ou de l’idée que prendre soin de la planète et prendre soin des personnes qui vivent en marge de la société vont main dans la main. Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne en situation de handicap, » écrit le Pape François dans Laudato Si’ (no.117), « on entendra difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié. »

La destruction environnementale et les changements climatiques ont un impact disproportionné pour les pauvres et les personnes vulnérables, dont beaucoup dépendent de la terre pour vivre et manger. Nous devons entendre et répondre à « la clameur de la terre et à la clameur des pauvres » (« Laudato Si’» nº 49).

Réflexion et discussion :

Est-ce que je prends le temps de remarquer la beauté qui m’entoure? Est-ce que mes choix quotidiens démontrent que je prends en considération le bien de la planète?

« Travailler avec la nature, restaurer les habitats, inspirer les jeunes à faire partie de cette nature est un voyage spirituel », selon Martin Tamlyn, responsable du Old-Growth Forest, un projet du Ignatius Jesuit Centre. Ce projet comporte deux aspects distincts : restaurer le terrain et faire participer la communauté — y compris les écoles et les bénévoles — au processus de guérison de la terre.

La restauration écologique peut avoir un grand impact sur une communauté. « Les gens viennent ici pour voir ce que nous sommes capables de faire et appliquent ensuite ces connaissances à leurs propres communautés écologiques. C’est un catalyseur. »

Les élèves ayant participé au projet Old-Growth Forest se sont sentis appelés à contribuer à la conversion écologique. « Cela m’a montré comment un petit acte peut avoir un grand impact », « à l’avenir, je deviendrai quelqu’un qui aide à sauver la planète » ont expliqué certains jeunes.

L’engagement écologique se base sur les valeurs chrétiennes, souligne le P. Greg Kennedy, accompagnateur spirituel au Ignatius Jesuit Centre. « C’est à la fois dans notre intérêt personnel et dans notre appel en tant que chrétiens, parce que s’aimer soi-même signifie aimer les autres (humains ou non) et comprendre que leur maison est aussi importante que la mienne. Et cela doit se traduire par des actions concrètes. »

Conclusion.

Notre mission de réconciliation et de justice, éclairée par les PAU, nous appelle à pratiquer notre foi dans la sphère publique. Voici quatre thèmes importants qui expriment le caractère distinct de la façon ignacienne de s’y prendre :

  1. Notre action politique émerge de notre discernement pour savoir où Dieu est déjà à l’œuvre dans le monde et de coopérer avec son œuvre de salut, au lieu d’agir en fonction de nos propres idéologies limitées.
  2. L’écoute est au cœur de notre engagement citoyen – écouter les personnes marginalisées, les jeunes, ceux et celles avec qui nous sommes en désaccord, le cri de la terre. La véritable écoute est détachée de nos propres idées reçues et de nos préjugés.
  3. Développer un lien de parenté et d’accompagnement avec ceux et celles qui sont aux périphéries signifie de mettre leurs voix au centre de notre engagement citoyen.
  4. Sans une vie de prière et une pratique spirituelle, notre engagement citoyen n’aura pas de racines chrétiennes.

Nous espérons que cette occasion de réfléchir sur la manière dont nos valeurs chrétiennes et ignaciennes peuvent influencer notre participation ignacienne inspirera une conversation et une action réfléchie à travers la Compagnie de Jésus et la famille ignacienne élargie.

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