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Histoires

Le 16 mai dernier a eu lieu à la maison Bellarmin l’événement Le parrainage d’hier à aujourd’hui: 40 ans de solidarité au Québec, organisé par le Réseau des organismes et groupes  de parrainage de réfugiés au Québec (ROGPRAQ) qui opère au sein de la table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) et dont le Service jésuite des réfugiés – Canada fait partie.

Selon Hugo Ducharme (Service jésuite des réfugiés et Comité de coordination du RQOPR), le déjeuner causerie a été un succès: «C’est bien quand un programme existe depuis longtemps de le souligner, mais souligner pour souligner n’est pas assez. Il faut regarder en arrière pour planifier en avant. Et on a réussi à donner de l’énergie aux gens pour continuer à travailler.»

Un impact réel

Plusieurs témoignages nous ont rappelé que les politiques et le parrainage collectif ont un impact réel dans la vie des réfugiés. Mgr Pierre Blanchard a parlé de l’implication de l’archevêché de Montréal et des paroisses depuis les débuts du programme de parrainage collectif. Il a également souligné l’implication des citoyens et de leur générosité en biens et en argent. Près de 6000 réfugiés ont été parrainés par les communautés religieuses de Montréal, et lui-même a parrainé 18 Vietnamiens qui sont restés chez lui. Parmi ces derniers, Phat Nguen. Cet homme aujourd’hui à la tête d’un restaurant de sushis a raconté son parcours, depuis le bateau de pêche surpeuplé qui, sous un soleil de plomb, l’a amené avec sa famille dans un camps de réfugié au Japon, jusqu’à sa rencontre avec Pierre Blanchard et son installation au Québec. «Merci à vous pour cette terre d’accueil et de tolérance. Je m’appelle Phat et je suis un fier Canadien Québécois.»

Par la suite, Jean-Marie Romeder nous a parlé de sa décision de rejoindre Les marraines solidaires, un groupe de parrainage collectif qui a accueilli une famille syrienne. La solidarité est au cœur de cette décision: «J’ai beaucoup reçu dans ma vie, et je veux redonner.» Yara, un membre de cette famille parrainée, a raconté comment sa famille a dû fuir la Syrie, pays autrefois parfait, parce que y vivre était désormais un enfer où les morts, les bombes, les coups de feu et les drogues étaient désormais la norme. «Nous n’avons pas choisi ce qui s’est passé en Syrie, nous aurions aimé continuer d’y vivre.» Sa famille a alors dû se réfugier au Liban. Là, il n’y avait pour les réfugiés aucun avenir. Étant sans nouvelle de son père parti trouver une autre terre d’accueil, sa mère malade lui a demandé d’écrire des courriels. Un seul groupe a répondu: les marraines solidaires. Après le premier Skype avec le groupe du Québec, «c’était comme irréel d’être considéré comme une personne, et non juste comme un réfugié», se rappelle Yara. Les marraines solidaires ont aidé Fetna, Yara et Yasser à s’installer au Québec, les soutenant non seulement financièrement, mais aussi émotionnellement et mentalement et les aidant avec le choc de la culture. Et heureusement, le père de Yara est arrivé 15 mois après eux.

Le parrainage des réfugiés, d’hier à aujourd’hui

Plusieurs personnes se sont également relayées pour expliquer le contexte dans lequel le programme de parrainage est né et pour parler de la situation actuelle. Rivka Augenfeld, du TCRI, est revenue 40 ans en arrière. Sous le gouvernement minoritaire de Joe Clark, un programme de parrainage des réfugié a été créé au sein du gouvernement fédéral pour montrer l’exemple et inciter les citoyens à participer. En effet, le gouvernement s’était alors engagé à accueillir 16 000 réfugiés, en plus d’égaler le nombre de familles parrainées par les citoyens. Au Québec, le premier ministre de l’immigration du parti Québécois était Jacques Couture (qui avait été et est redevenu jésuite après son passage en politique). Il a entre autres réussi à mobiliser les Québécois en faveur des Boat people et il a eu l’idée d’engager Louise Gagné comme première secrétaire déléguée auprès des réfugiés.

Cette dernière, aujourd’hui présidente du conseil d’administration de Actions interculturelles était présente au déjeuner causerie. Mme Gagné a commencé sa présentation en rappelant que le travail auprès des réfugiés est «tellement actuel que l’on n’a pas besoin de se concentrer sur le passé», mais que de comprendre le contexte du programme de parrainage, qualifié à l’époque de «petit bijou de programme» peut être encore utile. Sa présentation a mis en lumière toute l’énergie du ministère de Jacques Couture. Élu en 1976, il demandait l’année suivant à son équipe de se pencher sur le problème des réfugiés. L’équipe présenta en 1978 un rapport intitulé Le réfugié, un étranger malgré lui. L’équipe du ministère de l’Immigration fit ensuite reconnaître une politique québécoise d’aide aux réfugiés qui avait deux volets: l’accueil ici et l’aide là où les réfugiés se trouvaient. La mobilisation des organismes québécois a été longue: pour eux, des gens qui fuyaient les persécutions étaient des traitres. Mais après 5 ans de travail et d’éducation d’organismes, de journalistes et de citoyens, Mme Gagné a contribué à faire changer les mentalités. Le ministre Couture a aussi lancé une idée qui perdure encore aujourd’hui: permettre à des groupes de citoyens, et non juste des organismes, de parrainer. Et la réponse des Québécois a été favorable puisque 10 000 personnes ont alors travaillé à l’accueil des réfugiés. Ils étaient minoritaires, mais très actifs dans leur quartier. Ce mouvement de solidarité des Québécois et des Canadiens a été récompensé. En 1986, la Médaille Nansen a été attribuée au peuple canadien en reconnaissance de sa réponse au mouvement de réfugiés indochinois. «Une petite énergie», a dit Mme Gagné, «s’amplifie par le travail avec les bonnes ressources.»

Jean-Nicolas Beuze, Représentant de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Canada a également pris la parole. «Il y a vraiment un sens de la solidarité qui est réjouissante», a-t-il débuté, «mais le vent tourne et on n’est souvent pas assez conscient qu’on est de plus en plus poussés par des mouvements beaucoup moins tolérants, beaucoup moins inclusifs.» Cette solidarité est toutefois plus importante que jamais, avec un nombre astronomique de personnes déplacées dans le monde, soit environ 70 millions. Ici au Canada, on entend parler de certains groupes de gens déplacés, comme les Syriens, mais moins d’autres comme les Soudanais déplacés en Ouganda ou encore des réelles motivations derrières les groupes de migrants qui se déplacent vers l’Amérique du Nord. Il y a moins de solidarité de la part des États, dont les positions politiques envers les personnes déplacées sont de plus en plus négatives. Le résultat: des budgets restreints avec des conséquences dramatiques sur le nombre de réfugiés que HCR peut aider. Le parrainage privé est un dernier ressort, car les personnes déplacées souhaitent souvent retourner chez elles, mais c’est néanmoins un besoin essentiel dans certains cas. Autre combat: il faut renverser la tendance qui présente les réfugiés comme des assistés, des personnes toujours vulnérables. Au contraire, parmi les nouveaux arrivants, les réfugiés sont le groupe qui passent le plus le test de citoyenneté et qui mettent sur pied le plus d’entreprises créant des emplois.

Tant Mme Augenfeld, Mme Gagné que M. Beuze ont souligné qu’à différents moments des 40 dernières années et aujourd’hui encore, après des départs encourageants avec des politiques novatrices par rapport à l’accueil des réfugiés, les gouvernements avaient tendance à se retirer, et à prendre des décisions basées sur les perceptions de la population et non sur les faits.

Les jésuites s’impliquent


Norbert Piché, Directeur national du Service jésuite des réfugiés (SJR), a rappelé l’implication des jésuites. Le SJR a été fondé en 1980 par le P. Pedro Arrupe, supérieur général de la Compagnie de Jésus. Au retour d’un voyage en Asie, alors que des millions de Boat people fuyaient le régime communiste du Vietnam, le P. Arrupe avait lancé un appel à l’action à tous les jésuites. C’est ainsi qu’est né le SJR un peu partout dans le monde. Au Canada, les jésuites ont aussi lancé un service de parrainage, un des premiers au Québec. «Bravo à tous ceux et celles qui ont eu l’impulsion d’accueillir l’étranger depuis l’arrivée des Boat people et tous les autres depuis, dont nous tous ici», a conclu M. Piché.

En conclusion: l’humain et l’espoir

À la fin du déjeuner causerie, Norbert Piché et Rivka Augenfeld ont rendu un vif hommage à Sylvain Thibault, un homme «très humain avec un grand cœur», qui quitte son poste de coordonnateur volet parrainage des réfugiés du TCRI. Enfin, Nayiri Tavlian, présidente de Hay Doun et chargée de cours à l’Université de Montréal, a lancé un cri de solidarité pour les réfugiés:

Nous avons à relever ce défi: aimer les autres. Avoir le courage d’aimer les autres parce qu’il le faut. Le courage de croire que l’être humain est encore beau. À voir l’autre, le rencontrer, le connaître et le reconnaître. La vie de tous est précieuse et a la même valeur. Je crois en nous, ensemble, encore et encore.

Que peut-on retenir de cet événement et des 40 dernières années de parrainage collectif? D’abord que les réfugiés sont avant tout des êtres humains, des individus, et qu’ils doivent être accueillis et traités comme tel. Ensuite que le travail actuel des organismes comme le Service jésuite des réfugiés est tout aussi essentiel aujourd’hui que dans les quatre dernières décennies. Et enfin que malgré un contexte politique de moins en moins ouvert aux Autres, il faut soutenir et encourager la solidarité pour les personnes marginalisées.

 

 

 

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