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Exercices spirituels

Si tu n’aimes pas les contes “contes”, ne m’écoute pas, je te scandaliserais. Car ceci est tout ce qu’il y a de plus conte: on ne sait pas s’il vient du fond des temps ou de notre inconscient. C’est peut-être un rêve éveillé! Mais comme il m’enchante, je te le raconte…

Marcos était trop jeune pour se faire adepte de Rabbí Iéshoua; il avait à peine douze ans. On ne sait pas s’il était le fils du fameux pêcheur Shim‘ôn ou un simple enfant de la rue qui s’était attaché à lui et le suivait partout. Il apprenait à pêcher, lavait les filets et riait toujours. Il appelait souvent son patron “abba”; et il arriva que Shim‘ôn-Petros dit de lui “mon fils Marcos” – ce qu’il écrivit de sa propre main lorsqu’il fut devenu pape! Ça donne à penser, n’est-ce pas, car il était marié le Petros.

Toujours est-il que son abba Shim‘ôn décida, un jour, de suivre Rabbí Iéshoua. On dit que dans ce temps-là si un chef de famille prenait position ainsi, souvent toute la famille suivait. Marcos, qui n’avait pas froid aux yeux, se désintéressa de la pêche et se mit de la partie: les adeptes du nouveau prophète n’étaient pas tous des invités de marque, après tout! Pourquoi pas lui qui s’était tant attaché aux pas de Shim‘ôn? Il suivrait de loin, mais il suivrait… Et il le fit, parfois même là où il n’aurait pas dû se trouver, comme dans le cercle clos du Maître et de ses préférés. Comme le petit avait toujours l’air insouciant, sautant d’un pied sur l’autre en riant, personne ne se souciait de sa présence. L’insouciance de l’un gagnait l’insouciance des autres. Mais l’enfant n’était pas fou; il avait l’oeil vif et remarquait tout ce qui se passait autour de lui. Il lui arrivait de jalouser un peu le jeunet Iohanân qui en était à l’âge de choisir son destin, à dix-huit ans. Très attiré par le magnétisme du Rabbí, Iohanân s’attacha à lui et en devint le préféré. Marcos aurait bien voulu avoir l’âge requis pour être, au moins, l’un des nombreux disciples du Maître. Mais il y a un âge pour tout, et Marcos le comprenait. C’est pourquoi il jouait l’indifférence, l’insouciance et l’innocence: cette belle innocence que le Maître goûtait beaucoup de la part des enfants. Aussi Marcos pouvait-il se mêler aux enfants, approcher le Maître, de temps en temps, et se laisser caresser et bénir par lui. À son âge, il pouvait également se mêler au groupe des femmes qui servirent le Maître durant toute sa pérégrination – Marcos en fut bien témoin et en rendra compte, le temps venu.

. Tout au long de cette rapide pérégrination de trois ans, Marcos suivit…Car il aimait la parole du Maître qui disait souvent, à l’un ou à l’autre, “Suis-moi”. Cette parole retentissait en lui; il ne l’oublierait jamais, et savait qu’il se l’appliquerait à lui quand il aurait l’âge. C’était le genre de paroles qui creusaient le désir en son coeur.

Marcos avait de grands yeux pour voir, et il voyait tout – tout ce qui, pour lui, dans un premier temps, lui parut une aventure fantastique. Par exemple, le fameux jour où Jésus guérit la belle-mère de son abba Petros – celle qu’il appelait affectueusement sa “mamie” – il fut rempli d’une grande fierté. Car tout le monde de Kephar-Nahoum accourait à la résidence des frères Petros et Andreas: on emmenait les malades de partout et Iéshoua les guérissait. Ce fut un moment magique pour les nouveaux adeptes du Maître. Aussi, au matin levant, très tôt, les gens revinrent en nombre. Or Iéshoua avait disparu. Shim‘ôn le retrouva dans un lieu solitaire en train de prier. Il lui dit: “Tout le monde te cherche”. Mais Iéshoua déçut beaucoup Petros quand il répondit: “Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, il faut que j’y prêche aussi, car c’est pour cela que je suis sorti”. Quelle désillusion pour le petit groupe des adeptes – et pour Marcos qui n’y comprenait rien: on venait de toucher le gros lot, et le Maître leur demandait d’y renoncer.

Il en fut de même, peu de temps après, tout en marchant le long du lac Tiberias, avec Petros, Andreas, Ihoanân et Ia‘acob. Marcos faisait ses pas de danse sur le sable chaud de la rive. Soudain ils rencontrèrent Lévi bèn Halphaï, au regard scrutateur, qui était aussi de Kephar-Nahoum. Marcos savait que Petros n’aimait pas Lévi qui tenait l’octroi pour le roi, dans la région; et ils avaient eu des démêlés quelques fois à la suite de bonnes pêches. Or Iéshoua, lui, avait déjà remarqué Lévi qui l’examinait avec insistance quand il passait. Aussi, ce jour-là, lui dit-il résolument: “Suis-moi”. Autre petit dérangement pour le groupe des quatre, qui devait s’adjoindre quelqu’un de pas très désiré. Marcos comprit que, pour le Maître, autre chose que le nom, la couleur ou la fonction, l’intéressait: il saurait en rendre compte un jour. Le groupe dut donc s’ouvrir, sans récriminer, au nouveau venu. Et ainsi se poursuivit l’histoire… que Marcos raconterait quand il aurait l’âge.

Durant près de trois ans, Marcos suivit de loin… et parfois de proche. En effet, quand vint la dure montée à Ieroushalaîm, pour la dernière Pâque où la mort attendait leur Maître, les apôtres ralentirent le pas. Marcos, qui allait sur ses quinze ans, ne lâcha pas. Tant et si bien qu’il assista au drame final qui le marqua beaucoup. Il fut jusqu’au jardin des Oliviers, où il s’était faufilé au dernier instant. Et quand on vint arrêter le Maître, il faillit être pris. Il raconte lui-même comment les apôtres abandonnèrent Iéshoua et “s’enfuirent tous”. Alors, écrit-il dans son évangile, “un adolescent le suit, enveloppé d’une étoffe sur son corps nu. Ils le saisissent. Mais lui, lâchant l’étoffe, s’enfuit, nu”.

Marcos fit partie de la première communauté chrétienne qui s’inspira des enseignements du Maître Ressuscité: il fut un témoin privilégié des efforts de ses frères pour vivre la communauté comme Iéshoua l’avait vécue avec eux durant trois ans. Bientôt, il fut assez âgé pour prendre à son compte la mission que le Maître leur avait confiée: “Allez par tout l’univers. Clamez l’annonce à toute la création”. Il commença à voyager avec Petros, Pablos, Bar-Naba, et d’autres… à Antioche de Syrie, à Chypre et à Rome. C’est là que Petros y Pablos furent martyrisés entre 62 et 67 de notre ère. Marcos pouvait avoir environ 45 ans à cette époque; il était dans toute la force de ses activités. Alors, inspiré par la catéchèse du vieux Petros qu’il avait tant écouté, et surtout par ses propres souvenirs, fidèlement conservés en sa vive mémoire, il décida d’écrire son évangile, le premier Évangile de la Nouvelle Alliance.

Marcos écrivit pour aider les lecteurs chrétiens, surtout ceux de Rome qui souffraient persécution, à reprendre la marche des disciples comme ces derniers l’avaient vécue: revivre l’expérience à l’école du Maître. Pour lui, tout avait commencé au pays de Galil; et les femmes, qui avaient suivi et servi le Maître, depuis Galil jusqu’au Tombeau de Ieroushalaîm, reçurent la première annonce de la résurrection du Maître: elles dirent aux frères qu’il fallait retourner en Galil. Pour Marcos, cela signifiait: reprendre le chemin qui va des origines jusqu’au bout du mystère que le Seigneur invite à partager. Son évangile n’est pas une première annonce-information. Tout est dit dès la première phrase: Commencement de la bonne nouvelle de Jésus, homme de Nazareth, Messie et Fils de Dieu. Son évangile est une re-lecture qui interpelle celui qui connaît déjà, mais qui doit se décider à aller plus loin à la suite du Seigneur; il est l’évangile typique du disciple qui se laisse former à l’école de Iéshoua. Selon Marcos, qui y a mis le temps pour s’en convaincre, il faut toujours recommencer afin d’aller plus loin en “suivant le Maître”. Et son Évangile invite le lecteur à toujours recommencer pour découvrir du neuf, inépuisable, sur les traces du Maître.

On dit que Marcos fut le premier à annoncer la Bonne Nouvelle en Égypte. Un Père de l’Église écrit: “Il y prêcha l’évangile qu’il avait composé et il établit des Églises, et d’abord à Alexandrie même…” Le succès de son apostolat fut tel qu’il déclencha la persécution des adversaires. Il fut arrêté, martyrisé et mourut en l’an 74 ou 75, à Alexandrie d’Égypte où les pèlerins vont aujourd’hui se recueillir sur ses restes conservés dans une crypte ancienne.

Tel est le conte de mon ami gamin qui n’avait pas froid au yeux. De petit garçon aimable et insouciant, il crût en âge et sagesse au contact de grands hommes qu’il admira. Il eut la patience du temps, qui le lui rendit en fruits de vie.

Lectures

Bible – L’évangile de Marc.

– 1 Pierre chapitre 5.

Autre – Philippe Bacq et Odile Ribadeau Dumas, Ferments d’Évangile. Une Église en mouvement. Éd. Lumen Vitae, Bruxelles, 1996.

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