Imaginez! à son corps défendant il fut prophète durant cinquante ans. Cinquante ans à prophétiser sans en avoir le goût. Aussi se plaignit-il beaucoup, sans pourtant jamais faillir à la tâche. C’est en son “honneur” que l’on inventa la parole “jérémiades”. Vous avez entendu qu’on dise à quelqu’un: “Cesse donc tes jérémiades”? Il se lamenta tellement qu’on lui attribua faussement le livre biblique des Lamentations.
Voici donc l’histoire du prophète qui aimait se lamenter… et qui commença fort jeune.
Jérémie était un gamin quand Dieu lui révéla: “Avant de te former au ventre maternel, je t’ai connu; avant que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré; comme prophète des nations je t’ai établi”.
Il était un jouvenceau tranquille et pieux. Un jour, qu’il était tout absorbé dans ses prières, Dieu s’adressa à lui et lui dit d’un ton grave: “JÉRÉMIE, mon petit, tu vas aller parler à ma place et en mon nom: au Roi et aux grands du pays”. Jérémie, qui avait entendu – car il arrive que Dieu parle pour se faire comprendre – lui répondit sur le même ton: “UN INSTANT, Monseigneur! Je ne suis qu’un muchacho! Je ne prendrai pas la parole en ton nom. À mon âge? qui me croira? on se moquera de moi, on dira que je n’ai pas le nombril sec, et l’on m’enverra paître… Point.” Et Dieu lui dit, plus fort encore: “ VA! JE SERAI AVEC TOI”. Pauvre Jérémie, il entreprenait une carrière qui ne serait pas de tout repos, laissez-moi vous dire. Cette idée, aussi, de prier si jeune, et avec ferveur. Sans doute que l’Esprit du Seigneur – qui avait beaucoup à faire en ce temps-là pour sauver les meubles – lui avait mis cela dans la tête et dans le coeur, intentionnellement. Le Prophète s’en repentit parfois plus tard, mais trop tard: il avait posé le pas tragique, celui qui le faisait entrer dans le jeu dangereux de Dieu. Et il n’eut plus de repos.
En effet, un jour, Jérémie se plaignit devant Dieu: “Tu m’as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire; tu m’as maîtrisé: tu as été le plus fort (….) Je me disais: je ne penserai plus a lui, je ne parlerai plus en son Nom; alors c’était en mon coeur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir, je ne pouvais le supporter…” Sa désespérance alla si loin, un jour, qu’il cria à Dieu un cri résonnant comme un blasphème affreux (pour un homme pieux, il ne mâchait pas ses mots):
Maudit soit le jour où je suis né!
Le jour où ma mère m’enfanta, qu’il ne soit pas béni!
Maudit soit l’homme qui annonça à mon père cette nouvelle:
“Un fils, un garçon t’est né!”
et le combla de joie.
Que cet homme soit pareil aux villes
que Yahvé a renversées sans pitié;
qu’il entende le cri d’alarme au matin
et le cri de guerre au midi,
car il ne m’a pas fait mourir dans le sein;
ma mère eût été mon tombeau,
et ses entrailles toujours en travail!
Pourquoi donc suis-je sorti du sein?
Pour vivre peine et tourment
et finir mes jours dans la honte!
Pauvre Jérémie! Il était peut-être “lamenteux”, mais il se lamentait pour quelque chose qui ne faisait pas de sa vie une randonnée bourgeoise ou un pique-nique amoureux. Il était de nature timide, tranquille, sans prétention aux yeux des hommes – surtout pas celle d’être prophète! Fort probable que Dieu l’embaucha parce qu’il n’intimidait personne a priori: on serait d’autant plus surpris de ses paroles quand il proclamerait à voix forte. Pensez donc, Dieu lui refusa même l’être complémentaire que d’autres prophètes eurent dans leurs épreuves: une épouse assortie qui le soutint. À peine à vingt ans, Jérémie fut condamné au célibat perpétuel; or il ne devait mourir que vers l’âge de soixante-dix ans. Dieu lui avait dit, un soir, où probablement il cherchait une épaule pour s’épancher:
Ne prends pas femme; n’aie en ce lieu ni fils ni fille! Car ainsi parle Yahvé sur les fils et les filles qui vont naître en ce lieu, sur les mères qui les enfanteront et sur les pères qui les engendreront en ce pays:
“Ils mourront de male mort, sans avoir pleurs ni sépulture; ils serviront de fumier sur le sol; ils finiront pas l’épée et la famine, et leurs cadavres seront la pâture des oiseaux et des bêtes sauvages”
Durant ses cinquante ans de ministère, Jérémie connut cinq rois et un gouverneur. Il fut témoin de quatre invasions, subit le long siège de Jérusalem, où il fut emprisonné. Il mourut vieux, en exil volontaire en Égypte, d’une mort dont on ne connaît pas les circonstances. Comme prophète, Jérémie traita surtout avec trois rois – les trois rois qu’un prof d’Écriture qualifie ainsi: Josias “l’énergique”, Jékonias “le rebelle” et Sédécias “le faible”.
Sa carrière débuta tout de même assez bien. Le peuple était pécheur invétéré, et Jérémie devait en dénoncer l’horreur. Mais Josias “l’énergique” avait déjà initié le mouvement de réforme. Il eut du cran devant Dieu et devant les hommes, le jeune roi, qui entreprit de purifier le pays à grand renfort de moyens, pulvérisant les idoles sous ses pieds. Jérémie se joignit à lui. Les deux étaient à peu près du même âge, et ils collaborèrent fermement durant dix-huit ans. Jérémie, le craintif par nature, commença donc son ministère soutenu par le roi et par la Parole de Yahvé. Il parla même avec une éloquence qui surprit tout le monde. Il disait que Yahvé lui avait touché la bouche, en étendant la main, et lui avait dit: “Voilà, je mets en ta bouche mes paroles. Regarde, aujourd’hui, je t’établis sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter”. De la haute prophétie qui consiste à parler au nom de Dieu!
Quel programme, mes amis: nettoyer à fond, en arrachant, renversant, exterminant et démolissant; mais, tout cela, pour construire, bâtir la vie, planter la vie. Le péché mignon du peuple, qui surabondait, était l’idolâtrie. Josias et Jérémie avaient été témoins de la dépravation du royaume du nord, Israël, et de sa reddition aux mains de l’étranger. À la lumière de cette actualité, les deux hérauts de la justice et de la fidélité parlèrent avec fermeté à Juda, le royaume du sud.
Hélas! à 39 ans, Josias périt dans une guerre qui ne le concernait même pas. Jérémie se fendit d’une élégie que la Bible célèbre et présente comme modèle et règle pour les deuils futurs.
Dès lors, isolé, esseulé, Jérémie dut exercer son labeur comme franc-tireur, sous le régime du nouveau roi, Jékonias “le rebelle” qui ne lui rendit pas la tâche facile. Jékonias ne suivit pas les traces de son père; “il fit ce qui déplût à Dieu”. Or quand le roi “faisait” ainsi, le peuple “faisait” aussi: il optait pour la facilité et le luxe des cultes païens. Et le peuple incluait, comme en ses tristes entrailles, les prêtres et les hordes de faux-prophètes qui flattaient les deux, et le roi et le peuple, pour se gagner leurs faveurs. On peut dire que Jérémie eut alors beaucoup de fil à retorde. Il vitupérait à pleine voix au nom du Seigneur Yahvé:
Oui, il se trouve en mon peuple des malfaisants qui disposent des filets;
comme des oiseleurs, il placent des pièges, mais ce sont des hommes qu’il prennent.
Telle une cage pleine d’oiseaux, ainsi leurs maisons sont pleines de rapines;
de la sorte, il sont devenus importants et riches, gros et gras.
Oui, on dépasse la mesure du mal; on ne respecte pas le droit,
le droit des orphelins pour qu’ils soient heureux;
on ne défends pas la cause des pauvres (….)
Des choses exécrables, abominables se passent dans ce pays:
les prophètes prophétisent au nom du Mensonge,
les prêtres enseignent de leur propre chef.
Et mon peuple aime cela!
Mais que ferez- vous quand viendra la fin?
Le peuple refusa d’écouter la voix du Prophète qui entrait en compétition avec celle des prêtres, eux-mêmes vendus au culte des idoles. Jérémie leur criait la voix de Dieu. Comment pouvez-vous dire: “Nous sommes sages et nous avons la Loi de Yahvé!” Vraiment, c’est en mensonge que l’a changée le calame mensonger des scribes! Les sages sont honteux, consternés et pris au piège. Voilà qu’ils ont méprisé la voix de Yahvé! Eh bien, leur sagesse, à quoi leur sert-elle? Ce fut une étape bien souffrante pour Jérémie, qui souffrait de la souffrance de son peuple. Et comme toujours, le pauvre, il se lamentait haut et fort:
Qui me fournira au désert, un gîte d’étape,
que je puisse quitter ce peuple et loin d’eux m’en aller?
Car tous ils sont des adultères, un ramassis de traîtres.
Ils bandent leur langue comme un arc;
c’est le mensonge et non la vérité qui prévaut en ce pays;
oui, ils vont de crime en crime…
Et, de nouveau, il s’en prit à Dieu:
Tu as le droit pour toi, Yahvé, quand je prétends requérir contre toi.
Je voudrais seulement débattre avec toi un point de justice:
pourquoi le sort des méchants est-il prospère?
pourquoi tous les perfides goûtent-ils la paix?
Tu les enracines, ils portent du fruit.
Pourtant tu n’es près de leur bouche, et loin de leur coeur.
Mais toi, Yahvé, tu me connais, tu me vois,
tu éprouves mon coeur, il est avec toi.
Enlève-les comme des brebis pour l’abattoir.
Réserve-les pour le jour du massacre.
Sans se lasser, fidèle à sa tâche, Jérémie dénonça les exactions de Juda. Il fut pris en grippe par tous. Surtout quand il dut dire au roi Jékonias et à la reine-mère Nehushta: “Asseyez-vous bien bas, car elle est tombée de votre tête, votre couronne de gloire”. Il leur annonçait par là que s’approchait la déportation de Juda. Les faux prophètes garantissaient une fausse paix au peuple: “Vous ne verrez pas l’épée, et la famine ne vous atteindra pas; mais Yahvé vous octroiera une paix solide”. Or Yahvé confirmait Jérémie: “C’est le mensonge que ces prophètes annoncent en mon nom… Visions de mensonges, divinations creuses, rêveries du coeur, voilà ce qu’ils prophétisent … eh bien! c’est par l’épée et la famine qu’ils mourront ces prophètes-là”. Et, ramant à contre courant, isolé et traqué, Jérémie dénonçait les prophètes flatteurs, transmettant aux victimes du mensonge la vérité que lui enseignait le Seigneur Dieu. Et les faux se liguaient contre lui: “Venez! machinons un attentat contre Jérémie, car l’instruction ne fera pas défaut chez le prêtre, ni le conseil chez le sage, ni la parole chez le prophète. Venez! Frappons-le par sa propre langue: soyons attentifs à chacune de ses paroles”. Mis au courant de ce qui se tramait, Jérémie alla se plaindre de nouveau à son Seigneur; il le fit avec la violence qui l’habitait:
Prête-moi attention, Yahvé,
Et entends ce que disent mes adversaires.
Rend-on le mal pour le bien?
Car ils creusent une fosse à mon intention.
Rappelle-toi comme je me suis tenu devant toi (….)
Livre donc leurs fils à la famine,
Abandonne-les à la merci de l’épée…
Sous le roi Sédécias “le faible”, Jérémie assista à la destruction de Jérusalem et à la déportation définitive de Juda à Babylone. Un an auparavant, en 588, les chefs d’armée avaient demandé au roi l’exécution de Jérémie qui décourageait les soldats avec ses prédictions de malheur. Jérémie fut alors descendu dans la Citerne de Malkiyyahu où il était condamné à mourir de soif, englué dans la vase jusqu’au cou. Mais un eunuque du roi plaida sa cause auprès de Sédécias qui le libéra. En 587, Jérusalem tomba et le peuple fut emmené en exil: c’est-à-dire la cour royale, les sages, les prêtres et la petite aristocratie, les soldats, les artisans et les forgerons. Le commandant de la garde étrangère, reconnaissant Jérémie enchaîné parmi les captifs de Jérusalem, lui offrit de partir avec les déportés ou de rejoindre Godolias, le nouveau “gouverneur” du pays. Contrairement au prophète Ézéchiel, du nord, qui accompagna son peuple en exil, Jérémie choisit de rester “parmi les populations laissées dans le pays”.
Mais les troubles n’en finirent pas pour autant. La Bible rapporte les démêlés de Jérémie avec le groupe des officiers qui demeurèrent en Juda, après la déportation. Ils furent pris du mal de retourner en Égypte, comme au temps de leurs pères, pour échapper au pouvoir des Chaldéens de Babylone. Ils consultèrent Jérémie pour savoir si Dieu était favorable à leur projet. Jérémie pria durant dix jours. Puis il transmit le message divin: restez sous le joug de Babylone qui vous sera propice; n’allez pas en Égypte où vous connaîtrez davantage de guerres et de persécutions. Les officiers rejetèrent le propos de Jérémie, “prophète de malheur”, et désertèrent leur pays.
On ne sait dans quelles circonstances, Jérémie rejoignit ce petit reste en Égypte. Selon le Livre sacré, c’est là que s’exerça son dernier ministère: annonce des malheurs qui attendaient les juifs installés à Migdol, Tahpanhès, Noph et Patros. L’Égypte tomba aux mains des Chaldéens de Nabuchodonosor.
Telle fut la vie du grand Jérémie: fort laborieuse! Il ne connut pas de repos, pas de temps de paix où calmer son esprit de prophétie. Ses plaintes constantes à Dieu le libéraient sans doute, lui permettaient de défouler sur Quelqu’un qui pouvait en prendre! Mais Dieu lui-même s’en fatigua et lui dit, un jour:
ASSEZ!
Plus de voix plaintive,
plus de larmes dans les yeux!
Ton labeur reçoit sa récompense.
Ton avenir est plein d’assurance
– oracle du Seigneur.
Pauvre Jérémie, saint Jérémie qui sûrement reçus du Ciel la récompense du serviteur bon et fidèle, prie pour nous!
Lectures
Bible – Le livre de Jérémie; 1 Chroniques chapitres 34 et 35.
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