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Histoires

Par Eric Clayton 

Au fil de l’histoire, la spiritualité ignatienne a évolué et s’est adaptée d’une manière remarquable en fonction des besoins et des circonstances. Au Canada, deux jésuites, John English et Gilles Cusson, ont joué un rôle essentiel dans cette évolution. Pour élargir la portée et l’accessibilité de la spiritualité ignatienne, ils en ont renouvelé les perspectives et les pratiques. Aujourd’hui, leur héritage continue d’influencer notre approche de la spiritualité ignatienne et nous permet notamment de répondre aux défis contemporains en matière de justice sociale, de condition féminine ou de sauvegarde de l’environnement. 

Le développement et l’évolution constante de la spiritualité ignatienne 

La spiritualité ignatienne telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas la copie conforme de ce qu’a mis sur papier saint Ignace de Loyola. Bien qu’il ait rédigé de son vivant ce qui constitue le texte fondamental de la spiritualité qui porte son nom, les Exercices spirituels, l’analyse, la mise en œuvre et la réflexion sur ce texte fondateur se poursuivent afin de répondre aux signes des temps. 

Comment se fait-il que des éléments clés de la spiritualité ignatienne, que nous sommes nombreux à tenir pour essentiels à la pratique de notre foi, aient été pratiquement inconnus il y a à peine cent ans ?  

Selon les historiens jésuites Timothy W. O’Brien et John W. O’Malley « ce qu’on appelle aujourd’hui la spiritualité ignatienne est fondamentalement fidèle à l’inspiration originelle de la Compagnie, mais elle est aussi paradoxalement nouvelle ». 

Pour O’Brien et O’Malley, il existe un lien direct entre les jésuites de l’ère moderne et la manière dont les premiers compagnons d’Ignace concevaient leur spiritualité. « Si ce n’était pas le cas, rappellent-ils, le phénomène appelé aujourd’hui spiritualité ignatienne n’aurait pu ni prendre forme ni être validé. »  

En 1894, le premier recueil de sources jésuites était publié à Madrid : les Monumenta Historica Societatis Iesu. Ce fut un moment décisif pour la Compagnie, une invitation à revenir à la manière de procéder des premiers jésuites. « Dans les années 1930, le corpus croissant de sources disponibles sur Ignace et la première Compagnie […] a commencé à susciter des études biographiques plus complètes sur le fondateur. » Cela a apporté de nouvelles perspectives sur les pratiques spirituelles qui portent son nom.  

John English et Gilles Cusson sont nés durant cette période-là, soit en 1924 et 1927 respectivement. Cette période a vu « l’émergence de la théologie spirituelle comme discipline universitaire, un développement qui s’est amorcé dans les années 1920 », selon O’Malley et O’Brien.  

Malgré les changements en cours dans le domaine de la spiritualité, les scolastiques English et Cusson ont tous les deux reçu la formation jésuite traditionnelle à l’époque, et leur expérience des Exercices spirituels a été très différente de celle que nous en faisons aujourd’hui. 

« Les exercices complets n’étaient donnés qu’aux religieux, explique Gilles Mongeau, SJ, socius de la province jésuite du Canada. Le maître de retraite donnait une conférence le matin, puis vous restiez seul avec les points qu’il vous avait donnés. Il pouvait vous rendre visite au cours de la journée, mais pas plus de dix minutes. »  

« John [English] était convaincu que l’Église devait se réapproprier l’art de la direction spirituelle et que celle-ci ne devait plus être l’apanage de la seule classe cléricale. » 

Ces retraites prêchées, comme on les appelait, avaient été la principale façon pour les jésuites de donner les Exercices pendant la quasi-totalité de l’existence de la Compagnie. Mais John English et Gilles Cusson vont aborder les Exercices d’une autre manière. 

Les intuitions de deux Canadiens 

John English, S.J. [198- ?] Photographe inconnu, fourni par  Archives des jésuites au Canada
 Pour John, le troisième an, la dernière étape de sa formation jésuite, fut déterminant. C’est au centre de spiritualité jésuite de Saint-Beuno, au pays de Galles, qu’il a découvert une nouvelle façon de recevoir les Exercices : la retraite dirigée personnelle.  

 « Ce fut une révélation », se souvient Gilles Mongeau. Il a rapporté cette expérience au Canada et a commencé à y réfléchir. Comment faire ? Comment partager cette expérience des Exercices non seulement avec les religieux, mais avec tout le monde ? 

« John était convaincu que l’Église devait se réapproprier l’art de la direction spirituelle et que celle-ci ne devait plus être l’apanage de la seule classe cléricale, écrit John Veltri, SJ. Il estimait que les Exercices spirituels pouvaient aider les croyantes et les croyants qui ont les qualités requises à devenir eux-mêmes directrices et directeurs spirituels ». 

Quant à Gilles Cusson, il a été fortement influencé par le travail du jésuite français Maurice Giuliani qui a « montré que le don d’Ignace à l’Église est plus qu’une école de prière. Il s’agit plutôt d’une manière de procéder apostolique dans laquelle le service et le service des âmes occupent une place centrale », notent O’Malley et O’Brien. 

Lors de ses études à Rome, de 1963 à 1965, Gilles Cusson s’intéresse à la tradition spirituelle et mystique de l’Église. Il fait sa thèse de doctorat sur la pédagogie des Exercices spirituels et commence à enseigner la spiritualité à l’Université grégorienne.  

« Gilles  a essayé très tôt de formuler sa compréhension de l’esprit d’Ignace, explique Bernard Carrière, SJ. Dans sa thèse de doctorat, il a décrit en particulier la façon d’adapter à notre temps la 19e annotation, c’est-à-dire la retraite dans la vie courante. »  

Le père John English, SJ avec Paul Sullivan, alors producteur à la CBC. Photo : ignation.ca

En 1965, John English et Gilles Cusson sont alors deux jeunes prêtres jésuites. Le concile Vatican II se termine à peine et l’encyclique Perfectæ Caritatis presse les instituts religieux de redécouvrir leurs racines. O’Malley et O’Brien notent que « cela a donné à la 31e congrégation générale de la Compagnie l’élan nécessaire pour rendre opérationnel, sur le plan apostolique, le fruit du retour aux sources entrepris au cours des six décennies précédentes ». 

Bref, le moment était venu d’appliquer concrètement les idées spirituelles qu’ils avaient tous les deux conçues dans la prière et expérimentées. 

 « Dans sa thèse de doctorat, [Gilles Cusson] a décrit en particulier la façon d’adapter à notre temps la 19e annotation, c’est-à-dire la retraite dans la vie courante. »   

L’héritage de Gilles Cusson et de John English 

Gilles Cusson, S.J.
[196- ?] Photographe inconnu, fourni par Archives des jésuites au Canada
En 1969, John English inaugure, au Centre de spiritualité de Guelph, le programme de l’institut d’ascèse pratique. « C’était la toute première expérience des Exercices spirituels de 30 jours donnés par une équipe, en maison de retraites, selon le modèle de la retraite en silence dirigée personnellement, avec un nombre important de participants », écrit Veltri. Tout commence avec un groupe de 39 religieuses en formation, provenant de différents instituts. Le mouvement s’est répandu à partir de ce moment-là. 

Pour John English, il est essentiel d’inscrire sa vie dans le cadre de l’histoire du salut. « La vie est une expérience de la grâce dans l’histoire, écrit-il. C’est dans la mesure où nous avons conscience d’être les bien-aimés de Dieu que nous pouvons aborder toute notre vie comme une histoire de grâce. » 

En 1976, Gilles Cusson fonde à Québec le Centre de spiritualité Manrèse. Dès le début, le Centre s’applique avec une grande rigueur intellectuelle à approfondir les Exercices en faisant dialoguer la tradition ignatienne et la culture contemporaine.  

La 19e annotation sur « les Exercices dans la vie courante » (ÉVC) joue un rôle central dans le travail du Centre et permet, comme le note la Curie jésuite, « une certaine démocratisation des Exercices spirituels, rendant le cheminement ignatien et le ministère de l’accompagnement spirituel plus accessibles à tout le peuple de Dieu et en particulier aux laïcs ». Le travail de Gilles Cusson amène à intégrer les Exercices et à les rendre accessibles d’une manière qui aurait été inconcevable il y a un siècle. 

Quant à John English, son intérêt précoce pour l’écologie, son engagement à faire participer les femmes aux Exercices et sa compréhension de la spiritualité communautaire continuent d’avoir une influence au Canada et à travers le monde. Une réflexion critique dans la perspective de John nous aide à moduler la retraite dirigée personnellement de multiples façons… qui se rejoignent dans ce qu’il appelle la « spiritualité communautaire », explique Veltri. « Pour John, ce terme en est venu à inclure des perspectives sociétales avec des aspects de justice sociale, d’équité pour les femmes et de conscience écologique. Et puisque les structures sociales pécheresses sont des réalités communautaires complexes, il faut des décisions prises en commun et porteuses de grâce pour changer ces structures. » 

Le travail de Gilles Cusson amène à intégrer les Exercices et à les rendre accessibles d’une manière qui aurait été inconcevable il y a un siècle. 

Grâce à l’héritage de Gilles Cusson et de John English, la disponibilité accrue des Exercices et une meilleure compréhension de leur potentiel radical de transformation font de la spiritualité ignatienne un excellent outil pour relever les défis « de ce temps ». 

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