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Citoyen du monde, disciple du Christ

Écoutez l’histoire:

Par Michael Swan

Nader Nasralla, SJ, pense que tout le monde devrait avoir son drapeau pour afficher ses couleurs, pour se présenter au monde, se rappeler qui l’on est et proclamer les valeurs qui nous font vivre. Quand il était novice dans la Compagnie et qu’il donnait un coup de main à l’école intermédiaire Mother Teresa à Regina, en Saskatchewan, il a demandé à tous ses élèves de se dessiner un drapeau. 

« J’aime vraiment les drapeaux », reconnaît Nader. 

« Oui, il adore les drapeaux », confirme son ancien maître des novices, le père Gabriel Côté. 

Dans sa chambre près des Facultés Loyola Paris, les facultés jésuites de théologie et de philosophie au cœur du vieux Paris, Nader arbore les drapeaux du Canada, du Québec, de l’Égypte, de la France, du Vatican puis, sur le mur d’en face, le sien. 

« À un moment donné, j’ai décidé de créer mon propre drapeau. » Jaune, bleu et rouge, le drapeau résume l’expérience, les idéaux et l’assurance de ce scolastique jésuite de 27 ans. Cependant il reflète aussi, de l’aveu de son concepteur, tout un faisceau d’identités. 

« Je suis Égyptien de naissance », commence-t-il. « Mes parents sont Égyptiens, mais je ne me sens pas totalement Égyptien. Je suis Québécois et Canadien, mais encore une fois, pas complètement. J’ai grandi avec une éducation et une culture française, mais je ne suis pas Français. Quand les gens me demandent d’où je viens, ils attendent une réponse simple. Mais mon cas n’est pas simple. » 

Baptisé dans l’Église copte catholique, Nader a fait ses études dans un système scolaire français et catholique. Bien sûr, il est copte (le mot « copte » signifie « égyptien »). 

« Mais je n’ai pas vraiment de lien avec l’Église copte, car j’ai grandi dans l’Église de rite romain », ajoute-t-il. 

Par ailleurs, Nader corrige poliment ceux qui le croient Arabe. La conquête arabe de l’Égypte, sous le califat de Rashidun, a eu lieu au milieu du VIIe siècle. Aujourd’hui, l’importante minorité chrétienne copte parle arabe, mais elle se compose principalement d’Égyptiens non arabes. 

Déménager au Canada a été toute une entreprise pour la famille Nasralla. Il a fallu 10 ans aux Nasralla pour franchir les différentes étapes du processus d’immigration et déménager à Montréal.  

Du Caire, il a été admis à Polytechnique Montréal, mais n’a pas pu obtenir le visa étudiant à temps pour commencer l’année. Son plan B, c’était Paris. 

« Je ne me suis jamais senti complètement chez moi au Caire, je voulais aller ailleurs », explique-t-il. 

Nader a finalement pu compléter le processus d’immigration et a retrouvé sa mère, son père et son frère à Montréal, obtenant son baccalauréat en physique, commencé à l’Université Paris Diderot (Paris VII), de l’Université de Montréal. Ce détour a pourtant créé un lien, si ténu soit-il, avec le fondateur des Jésuites, saint Ignace de Loyola. En 1529, Ignace s’était inscrit comme étudiant adulte (il avait alors 38 ans) à l’Université de Paris, qu’on appelait la Sorbonne. Paris-Diderot a fait partie de l’Université de Paris jusqu’en 1970. En 2019, elle a fusionné avec Paris-Descartes pour reconstituer la Sorbonne, mais a rapidement renoncé au surnom hérité de la Renaissance pour prendre le nom d’Université Paris Cité.  

Mais le lien plus fort de Nader avec saint Ignace et la spiritualité ignatienne remonte à son adolescence, quand il a fait partie du Mouvement eucharistique des jeunes, le MEJ. 

« Ça ressemble au scoutisme et aux mouvements de ce genre, mais sans le côté nature, explique-t-il aujourd’hui. Au lieu de la nature, vous avez de la formation spirituelle et la spiritualité ignatienne. » 

L’école où le jeune Nader a fait partie de ce mouvement parascolaire n’était pas un établissement jésuite. Il n’était donc pas très clair pour lui que ce style de prière, cette façon d’entrer en rapport avec Jésus, avait quelque chose à voir avec saint Ignace. Il est un peu tombé des nues quand il s’est retrouvé au noviciat de Montréal. 

« Mais c’était déjà de la spiritualité ignatienne, ce qu’on m’enseignait au MEJ! Je pensais que tous les catholiques, tous les chrétiens vivaient ça. » 

Les années passées au MEJ, d’abord comme participant, puis en tant qu’un des leaders du mouvement, ont ancré Nader dans une conception assurée de la place qu’occupe Dieu dans sa vie. 

Les années passées au MEJ, d’abord comme participant, puis en tant qu’un des leaders du mouvement, ont ancré Nader dans une conception assurée de la place qu’occupe Dieu dans sa vie.

« Je sens que j’y ai reçu une vraie formation spirituelle, dit-il. C’est là que j’ai trouvé ma voie spirituelle, là que j’ai rencontré Jésus en tant qu’ami, et à partir de là, j’ai continué. Aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment d’être passé à la version pro. Pas du tout. J’ai juste l’impression de poursuivre quelque chose que j’ai commencé quand j’étais plus jeune. » 

Poursuivant son chemin, Nader est entré au noviciat en 2021. Il n’a jamais vraiment reculé, nous confie son maître des novices : « Il n’a pas vraiment traversé de crise ou de questionnement graves, du genre : “Faut-il aller ou non jusqu’au bout?” Il est arrivé convaincu que Dieu l’appelait à devenir prêtre dans la Compagnie. Il a eu des problèmes de croissance, bien sûr — vous imaginez ! Apprendre à vivre en communauté ! » 

Non pas que Nader ait été réticent à entrer dans le groupe, au contraire. 

« Il aime être avec les gens. Il a le sens des relations personnelles. Il adore être dans le coup ; c’est un excellent compagnon », assure le père Côté. 

Le problème que Nader a rencontré, c’était plutôt que le noviciat de Montréal, avec seulement trois ou quatre novices, n’arrivait pas toujours à satisfaire son appétit de vie communautaire.  

« En fait, nous avions des personnalités assez différentes, explique son confrère de noviciat, Justin Sauro, SJ, ancien officier d’infanterie des Forces canadiennes, qui prononcera ses vœux perpétuels en tant que frère coadjuteur. Nous avons fait des sorties ensemble. Nous avons eu quelques conversations. Mais on ne peut pas parler d’une amitié naturelle. » 

Nader n’en disconvient pas. 

« Nous sommes très différents, reconnaît-il. C’est quand même un mystère : nous sommes tous les deux attirés par la même Compagnie de Jésus. C’est un peu la richesse de la Compagnie de Jésus d’attirer des personnes si différentes. » 

« C’est un peu la richesse de la Compagnie de Jésus d’attirer des personnes si différentes. » 

Quelle que soit la manière dont leurs personnalités se sont rapprochées, le respect de Justin pour Nader ne fait pas le moindre doute. 

« Il estime profondément l’amitié, souligne Justin depuis son nouveau domicile à l’Université de Saint-Louis. Et sa relation au Christ est pour lui une sorte d’amitié profonde. » 

Alors que les novices réfléchissaient aux vœux (pauvreté, chasteté et obéissance) qu’ils allaient prononcer au terme de deux années de discernement, Justin a remarqué que Nader avait une profonde attirance pour les vœux et la vie religieuse. 

Cela explique sans doute la place importante que prennent les amitiés dans sa vie ; le genre de relation que les Égyptiens-Canadiens-Parisiens apprécient le plus. 

De retour à Paris pour étudier la philosophie et la théologie, Nader a découvert que ses racines multiples et diversifiées n’ont rien d’étrange, du moins pas dans la Compagnie de Jésus. En effet, il vit désormais avec 32 autres érudits jésuites de 14 nations différentes. Beaucoup d’entre eux ont passé un an à apprendre le français avant de commencer leurs études aux Facultés Loyola Paris. De plus les Indiens, les Africains, les Européens sont tous un peu décentrés par rapport à leur propre culture, chacun avec une histoire identitaire unique. Voilà qui a de quoi réjouir et fasciner Nader. 

Sa propre histoire est épinglée au mur de sa chambre : c’est son drapeau. 

« La croix du milieu est l’ancienne croix qu’utilisait le MEJ, explique Nader. Elle est inscrite dans un cercle pour évoquer l’eucharistie. Les cinq champs peuvent représenter les cinq plaies du Christ. La croix du MEJ elle-même, c’est le nom du Christ, mais elle évoque aussi la croix égyptienne, qui symbolise la résurrection et la vie. Vous avez la mort et la résurrection du Christ dans l’eucharistie, et puis le bleu autour, c’est Marie. La croix bleue en arrière-plan s’inspire du drapeau québécois. Ensuite, vous avez une étoile à sept branches afin de rayonner et de témoigner dans sept directions différentes. Et le jaune est ma couleur préférée. » 

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