La religion est moins la codification d’éléments doctrinaux et d’enseignements qu’une sensibilité aux «dimensions de transcendance» qui soutiennent l’expérience humaine, selon ce qu’a affirmé le supérieur de l’ordre jésuite.
Selon le supérieur général des jésuites
«La religion n’est pas affaire de doctrine, mais plutôt de sensibilité à l’expérience humaine.»
La religion est moins la codification d’éléments doctrinaux et d’enseignements qu’une sensibilité aux « dimensions de transcendance » qui soutiennent l’expérience humaine, selon ce qu’a affirmé le supérieur de l’ordre jésuite auquel appartient le pape François.
Apparentant l’expérience religieuse à une personne qui peut apprécier les nuances et les variations de la musique classique, le père Adolfo Nicolás a dit : « La religion est d’abord et avant tout proche de la sensibilité musicale, non pas tant un système rationnel d’enseignements et d’explicitations. La religion implique d’abord une sensibilité, une ouverture aux dimensions de transcendance, de profondeur, de gratuité, de beauté qui sont sous-jacentes à nos expériences humaines. Mais nous en sommes conscients, cette sensibilité est menacée aujourd’hui par une approche purement économique ou matérialiste qui affaiblit cette perception de la dimension plus profonde de la réalité. »
Le P. Nicolás, qui comme supérieur général de la Compagnie de Jésus anime quelque 17 000 jésuites dans le monde entier, s’est exprimé ainsi à l’Université grégorienne, à Rome, durant l’événement qui célébrait le 100e anniversaire de l’université jésuite Sophia, à Tokyo.
Ancien étudiant à Sophia dans les années 60 et ex-Provincial des jésuites de la Province du Japon, le P. Nicolás a inauguré le séminaire intitulé : « Entre le passé et l’avenir : la mission de l’Église catholique en Asie et la contribution de l’Université Sophia. »
Le supérieur jésuite, dont l’ordre compte parmi ses membres le pape, a incité les catholiques japonais à promouvoir la sensibilité religieuse dans leur pays et à ne pas perdre espoir même s’ils représentent une toute petite minorité chez eux. En comparant combien de gens ont perdu l’attention nécessaire pour bien écouter la musique à cause des nombreuses distractions de l’âge technologique contemporain, le P. Nicolás a ajouté : « Tout comme cette sensibilité musicale se trouve érodée et affaiblie par le bruit, le rythme, les perspectives du monde moderne et postmoderne, ainsi en est-il de la sensibilité religieuse. Je dirais que la mission, aujourd’hui au Japon et en Asie, doit d’abord aider les gens à découvrir ou à redécouvrir ce sens musical qu’est la sensibilité religieuse, la conscience et l’appréciation des dimensions d’une réalité qui est plus profondes que la raison instrumentaliste ou les conceptions matérialistes de la vie. »
Le supérieur jésuite a aussi incité le personnel et les professeurs de Sophia à ne pas faire de leur institution un lieu qui soit d’abord mené par « le marché ». « La compétivité et la poursuite des premiers rangs pour l’atteinte de gains économiques toujours plus élevés sont devenues les lignes de force de certaines institutions, a-t-il ajouté. Ce serait une tragédie si nous universités ne faisaient que reproduire les manières de penser et de comprendre de notre monde séculier et matérialiste. La raison pour laquelle nous sommes en éducation est toute différente. Nous n’y sommes pas pour faire du prosélytisme religieux mais pour proposer la transformation. Nous voulons former un nouveau type d’humanité qui sorte la personne d’elle-même pour la faire se préoccuper des autres. »
En abordant le sujet de l’état de l’Église japonaise, à propos de laquelle les statistiques récentes de la conférence épiscopale du Japon spécifiaient que les catholiques représentaient environ 0,35% de la population du pays, le P. Nicolás a dit avoir entendu un jugement quasiment désespéré concluant que l’évangélisation avait été un échec au Japon. « On peut parler d’une sorte de désolation ecclésiale ressentie dans le pays. En regardant de plus près, on peut se rendre compte qu’il y a là un appel au discernement et à l’action. »
Faisant référence au regretté théologien japonais Kosuke Koyama, le supérieur jésuite a dit que les catholiques japonais ne peuvent s’attendre à ce que des résultats immédiats couronnent leurs efforts d’évangélisation. « Nous recherchons un succès rapide, des résultats », dit-il en citant l’ouvrage de Koyama intitulé Un Dieu à trois milles à l’heure, mais [Koyama] insiste que notre rythme n’est pas celui de Dieu. Dieu avance à trois milles à l’heure, la vitesse à laquelle une personne marche. »
En continuant de citer cet ouvrage, le P. Nicolás a ajouté : « L’amour a aussi sa vitesse. C’est une vitesse spirituelle. Elle est différente du type de vitesse du monde technologique auquel nous sommes habitués. Ce rythme rejoint les profondeurs de nos vies, que nous en soyons conscients ou non; il est de ‘trois milles à l’heure’. C’est aussi la vitesse à laquelle avance l’amour de Dieu. »
Le supérieur général était parmi la douzaine d’intervenants durant cet événement tenu à l’Université Grégorienne, un acte qui attirait l’attention aussi bien sur l’ensemble du rôle des jésuites au Japon et sur les contributions spécifiques de l’Université Sophia depuis sa fondation en 1913. Parmi les personnes présentes on retrouvait des professeurs et des membres du personnel des deux universités, des jésuites de diverses parties du monde et l’ambassadeur du Japon en Italie, M. Masaharu Kono.
Le P. Shinzô Kawamura, SJ, professeurs en Sciences humaines à l’Université Sophia, a pour sa part centré sa présentation sur saint François Xavier, ce jésuite du 16e siècle qui était parmi les co-fondateurs de l’ordre avec saint Ignace de Loyola avant de dédier sa vie aux missions en Inde, au Japon et à Bornéo. Le P. Kawamura a comparé les relations contemporaines de l’œuvre missionnaire de Xavier avec les compréhensions actuelles du rôle missionnaire, considérant François Xavier comme un « exemple classique » de celui qui a fait « l’équilibre entre la doctrine et la pra-tique » dans son œuvre missionnaire.
Sœur Mario De Giorgi, missionnaire italienne de la congrégation des xavières qui a vécu au Japon depuis 1985, s’est aussi exprimée. Elle qui a passé la plus grande partie de son séjour au Japon dans un centre spirituel interreligieux appelé Shinmeizan, proche de la ville de Nagomi, a parlé du dialogue interreligieux et interculturel.
Original: Joshua J. McElwee is NCR national correspondent
Source: https://ncronline.org/news/global/jesuit-head-religion-isnt-doctrine-sensitivity-human-experience (March 18, 2014)
Traduction et adaptation: Pierre Bélanger SJ