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Par Clara Atallah
Imaginez un monde où on inviterait les « squatteurs » à vivre dans un bel endroit, à animer les lieux, à tisser des liens, à s’approprier l’espace et à y rencontrer des gens tellement différents.
C’est en quelque sorte ce qui s’est passé à la Maison Magis, ouverte à Paris en octobre 2018. Au début, les Jésuites ont décidé de faire du 12, rue d’Assas, un lieu d’accueil pour cinq associations « squatteuses » qui avaient un réel besoin d’espace. Le Service jésuite des réfugiés (JRS) France, le réseau Magis (coordination de la pastorale jésuite de jeunes adultes en France), Magis Paris (antenne parisienne du Réseau Magis), Inigo (volontariat à l’international) et le Cowork Magis (espace de travail partagé).
Aujourd’hui, cette maison est devenue un vrai « tiers-lieu », soit un lieu qui favorise les rencontres de communautés différentes, de cultures différentes, de niveaux économiques différents.
Ce défi n’aurait pas pu être relevé sans les valeurs qui sont à l’origine de ce lieu, soit l’accueil, l’écoute, l’interculturalité, l’accompagnement, le partage, etc.
« Il fallait créer des liens entre tous les habitants de la maison, être garant de l’âme de ce projet », nous confie Marie Julienne, qui fut la directrice adjointe de la Maison Magis pendant quatre ans.
Samuel Milleville, membre de l’équipe d’animation Magis Paris (la pastorale ignatienne des 18-35 ans), nous parle de l’esprit évangélique du lieu. « On y trouve des gens tellement différents qui ont des vies, des métiers et des parcours tellement différents. Qu’ils soient ergothérapeute, libraire, professeur d’histoire-géo, ou ingénieur, ils ont tous à cœur de partager quelque chose. C’est ça qui fait la richesse de cette maison. Et parfois, des ponts inattendus se font avec le vécu d’autres personnes. »
Un lieu qui répond à des besoins
Des ponts, des liens… oui, de nos jours les ponts se raréfient et la polarisation gagne du terrain. Partout dans le monde, les communautés se tissent de plus en plus en réaction à l’isolement social, aux divisions culturelles et à un éloignement des racines spirituelles. Une étude récente de la Fondation de France a révélé qu’en 2023, 12 % des Français étaient en situation d’isolement total, illustrant l’ampleur croissante de ce phénomène.
Marie Julienne nous a confié qu’elle-même s’était tournée vers la pastorale jésuite pour rompre avec l’anonymat des grandes villes comme Paris.
La Maison Magis, en tant qu’espace qui combat la solitude et le cloisonnement culturel, offre une réponse concrète à ces enjeux. Ainsi les jeunes demandeurs d’asile y trouvent un accompagnement dans la recherche d’emploi, la gestion administrative, l’hospitalité dans les familles et l’apprentissage du français, ce qui réduit ainsi l’isolement et favorise l’intégration.
« Avoir un lieu où l’on connaît leurs prénoms, où ils peuvent recharger leurs téléphones, jouer une partie de baby-foot, prendre un café… c’est beaucoup pour les jeunes exilés ! », explique Marie Julienne.
Elle ajoute : « Ça leur fait aussi du bien d’être dans de beaux locaux, car on relègue souvent les personnes exilées dans des lieux périphériques et moins attrayants de Paris. »
Accompagnement
En plus de vouloir appartenir à une communauté ouverte, les gens cherchent de plus en plus à donner du sens à leur vie. La communauté ignatienne (formée de jésuites, de religieuses et de laïcs) est là pour les accompagner. L’exploration spirituelle ainsi que le développement personnel et communautaire sont des aspects essentiels du développement intégral. Les recherches en psychologie et en sociologie soulignent l’effet positif des pratiques spirituelles sur la conscience de soi, la recherche de sens et le bien-être général, individuellement et en groupe.
L’exploration spirituelle ainsi que le développement personnel et communautaire sont des aspects essentiels du développement intégral.
Pour de nombreux jeunes comme Samuel, la maison est un lieu ouvert qui leur permet de se rassembler, mais aussi d’être accompagnés dans leurs cheminements spirituels uniques. Il évoque aussi le besoin des jeunes de trouver un lieu d’échange et de discussion libre. Un lieu où il n’y a pas de réponses toutes faites, et où l’on ne se sent pas jugé, surtout en matière de foi.
Dans ce lieu, l’accompagnement n’est pas exclusivement spirituel. En effet, avec l’espace de travail partagé, il est aussi professionnel !
« Certes, quand les jeunes professionnels frappent à la porte du cotravail, ils expriment un besoin pratique ; ils cherchent un lieu agréable et pas cher. Cependant, ils recherchent aussi un encadrement professionnel, humain, et une occasion pour s’ouvrir à d’autres qu’eux-mêmes. Souvent, ils savent qu’à cet endroit-là, ils auront plus que des moyens logistiques. Ils parlent de bienveillance, d’esprit fraternel, de communauté », confie le père Thierry Anne, SJ, directeur de la Maison.
Lancer une entreprise vient avec son lot d’inquiétudes et d’incertitudes. Pour les jeunes entrepreneurs qui ne peuvent prédire leur succès, recevoir du soutien et se sentir intégrés dans une communauté bienveillante peut vraiment faire toute la différence.
« C’est aussi une maison dans laquelle on peut faire du bénévolat auprès des demandeurs d’asile, aller à la messe, mieux connaître la Bible, faire une retraite dans la vie ordinaire. »
« Ce lieu est particulier parce qu’il a plusieurs vies, c’est unique », confirme Samuel. Il permet des rencontres improbables avec des individus qu’on n’aurait sans doute jamais croisés ailleurs.
L’écoute fine
« Ce lieu m’a appris le sens de l’accueil et ce que signifie mettre les personnes au centre de nos actions. J’y ai aussi appris l’écoute fine, une qualité essentielle pour agir justement », nous confie Marie Julienne, qui travaille désormais pour le JRS France.
L’écoute profonde et l’ouverture de la communauté jésuite apparaissent aussi dans le témoignage du père Thierry : « Au début, les Jésuites n’avaient pas du tout imaginé créer une pépinière d’entreprise (le Cowork Magis), parce que ce n’est pas dans notre tradition. Ce sont les jeunes qui nous ont demandé de le créer. Il y a 7 ans, ils étaient 3 jeunes, aujourd’hui ils sont 47 ! On n’aurait jamais organisé ce réseau professionnel sans une demande de leur part. »
« Au début, les Jésuites n’avaient pas du tout imaginé créer une pépinière d’entreprise (le Cowork Magis), parce que ce n’est pas dans notre tradition. Ce sont les jeunes qui nous ont demandé de le créer. »
Il ajoute : « Les jeunes d’aujourd’hui sont très entreprenants, ils nous entraînent dans des lieux auxquels on ne pensait pas, surtout du point de vue écologique, ils nous tirent vers le haut. »
La Maison Magis est un lieu inspirant où les enseignements se révèlent réciproques, une véritable maison pour les autres, foisonnante de vie, de rencontres, un modèle à suivre.
« Les jeunes nous aident à être plus ancrés dans le temps d’aujourd’hui, et pas seulement dans la tradition que nous offrons. Ils nous apprennent de nouvelles manières de vivre, comme être plus attentifs à l’écologie, oser des projets un peu fous comme le Cowork Magis, travailler ensemble de manière coresponsable », conclut le jésuite français.
Et si nos actions allaient au-delà d’un lieu ? Peut-être nous faut-il aussi être des « squatteurs » dans nos communautés ? Mieux écouter les besoins, accueillir la différence, nous frayer un chemin et agir pour des sociétés plus justes où tout le monde peut atteindre son Magis†.
* Squatteur : Une personne qui occupe un logement vide sans droit ni titre.
† Magis : Dans la spiritualité ignatienne, le Magis veut dire « davantage », davantage d’intimité avec Dieu dans le but de promouvoir la croissance et le service pour le bien commun.
