Par Frédéric Barriault
Les visiteurs de passage à la Maison Bellarmin, les bureaux principaux des Jésuites du Canada, ont tôt ou tard vu l’immense salle aux portes vitrées où l’on peut lire le nom du jésuite Jean D’Auteuil Richard. Mais qui était donc cet homme pour qu’on honore ainsi sa mémoire ?
Fréquemment célébré de son vivant et même outre-tombe pour son rôle prophétique dans l’affaire Silicose, le père D’Auteuil Richard est le plus canadien-français des jésuites québécois. Il est également un fascinant témoin des transformations radicales vécues par la Compagnie de Jésus et les Jésuites du Canada au cours du 20e siècle.
Il est également un fascinant témoin des transformations radicales vécues par la Compagnie de Jésus et les Jésuites du Canada au cours du 20e siècle.
Un jésuite social et engagé
Jean D’Auteuil Richard est né en 1906 dans le village… de Richard, en Saskatchewan, une municipalité fondée par son père, Émile Richard, et sa mère, Arthémise D’Auteuil. Le futur jésuite porte un nom composé, fait peu commun dans le Canada du début du 20e siècle. Ses parents l’envoient étudier au Collège des jésuites d’Edmonton, où il discerne sa vocation religieuse. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1923, il fait son noviciat et son scolasticat à Montréal, où il sera ordonné douze ans plus tard, en 1935.
D’Auteuil Richard est issu d’une génération de jésuites formés en sciences sociales et ont connu la crise des années 1930, la révolution russe de 1917 et la montée du fascisme dans l’entre-deux-guerres. Il se démarque hâtivement par son souci pour la justice sociale. En 1937, son provincial l’envoie parfaire ses connaissances en Europe : il y étudie la sociologie, s’intéresse à l’engagement social et syndical des militants ouvriers catholiques. Puis il fait des études doctorales sur l’organisation professionnelle au Canada. De retour au pays, en 1940, il met rapidement à profit ses connaissances. Il œuvre tout d’abord au sein de l’École sociale populaire, lointain ancêtre du Centre justice et foi et contribue à la revue jésuite L’Ordre nouveau (1936-1940). Il devient également l’aumônier des cheminots.
À l’aube des années 1940, le jésuite spécialiste des organisations syndicales et patronales commence à s’intéresser au logement social. La ville de Montréal est alors frappée par une grave crise du logement. La Ligue ouvrière catholique et d’autres organisations sociales font alors la promotion de la fondation de coopératives de construction et d’habitation. D’Auteuil Richard devient peu à peu un expert de cet enjeu ; il multiplie les interventions à ce sujet. Tout d’abord dans les pages de L’Ordre nouveau et les brochures de l’École sociale populaire, puis dans celles de la revue Relations dont il sera l’un des cofondateurs en 1941. Il joue un rôle clé dans la création de la toute première coopérative d’habitations à Montréal et devient l’une des sommités québécoises en la matière.
Affaire Silicose, Révolution tranquille, et Vatican II : moteur de changements
En 1941, Jean D’Auteuil Richard devient le tout premier rédacteur en chef de la revue Relations, solidaire des luttes du mouvement ouvrier. Soutenue vigoureusement par le gouvernement de Maurice Duplessis, l’industrie minière est alors au cœur des mobilisations des chrétiens sociaux. Ceux-ci sont préoccupés non seulement par les droits des travailleurs, mais aussi par les maladies industrielles comme la silicose et l’amiantose, elles-mêmes dénoncées par les syndicalistes de l’époque. En mars 1948, dans la revue Relations, le journaliste Burton Ledoux et D’Auteuil Richard alertent l’opinion publique à propos de la toxicité de la poussière de silice inhalée par les mineurs et les habitants du village de Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides.
En mars 1948, dans la revue Relations, le journaliste Burton Ledoux et D’Auteuil Richard alertent l’opinion publique à propos de la toxicité de la poussière de silice inhalée par les mineurs et les habitants du village de Saint-Rémi-d’Amherst, dans les Laurentides.
Sitôt publié, ce dossier suscite la controverse ; la riposte des propriétaires de la mine sera brutale. Des pressions sont exercées sur les jésuites, de même que sur l’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau. Ce dernier contraint la revue Relations à publier une rétractation. D’Auteuil Richard est forcé de quitter la direction de la revue et le diocèse de Montréal.
Malgré beaucoup de lettres de soutien, Jean D’Auteuil Richard est humilié, brisé et en colère. Il est alors nommé professeur, puis recteur du Collège de Saint-Boniface, au Manitoba. Il y laissera sa marque en tant que défenseur de la langue et de la culture françaises, minoritaires dans l’ouest du Canada.
Nouvelle étape en 1954 : il devient professeur de sociologie et recteur au Grand Séminaire Notre-Dame de Port-au-Prince, à Haïti, de même que supérieur de la communauté jésuite du pays. Il participe alors à plusieurs grandes rencontres jésuites et catholiques au sein de l’espace caribéen, et développe une vision élargie de son apostolat, tout comme de la Compagnie de Jésus.
Élu provincial des jésuites du Canada français en 1959, D’Auteuil Richard fait face à une société et une Église en pleine transformation. Au Québec, c’est l’heure de la Révolution tranquille et à Rome, celle du concile Vatican II. À l’heure du renouveau intellectuel et spirituel postconciliaire, de la laïcisation des institutions et de la sécularisation des mentalités, les jésuites du Canada français, dont D’Auteuil Richard, tentent de faire le pont entre tradition et modernité.
À l’heure du renouveau intellectuel et spirituel postconciliaire, de la laïcisation des institutions et de la sécularisation des mentalités, les jésuites du Canada français, dont D’Auteuil Richard, tentent de faire le pont entre tradition et modernité.
En 1966, c’est un retour dans la vie universitaire pour le père D’Auteuil Richard. Il est nommé recteur de l’Université de Sudbury, première université jésuite au Canada. Il se fait de nouveau l’ardent promoteur de la vitalité culturelle et linguistique canadienne-française, cette fois dans le nord de l’Ontario.
Enfin vient le voyage de retour au Québec en 1973. D’Auteuil Richard s’est retiré progressivement de ses nombreux engagements, pour une retraite bien méritée. Il s’est éteint en 2002.