Écouter l’histoire:
Par MegAnne Liebsch
Pour tanner le cuir de bison, il faut d’abord prier. Ainsi, les élèves et le personnel de Mother Teresa Middle School (MTMS) se rassemblent dans la cour de l’école autour d’une peau fraîche. La fumée odorante du foin d’odeur flotte au-dessus de nous tandis que les artistes Lorne Kequahtooway et Joely BigEagle-Kequahtooway animent la prière. Par la suite, une multitude d’activités se met en branle. La cour se transforme en atelier de tannage en plein air et chaque élève aide à étirer et à gratter les peaux selon un processus traditionnel propre aux autochtones des plaines de la Saskatchewan.
Sous la direction de Lorne et Joely, le tannage des peaux de bison est une opération annuelle qui mobilise toute l’école. Les peaux produites durant cette semaine deviendront des mocassins, des tambours, des sacs perlés ; elles serviront aussi aux élèves pour confectionner des bijoux ou pour réaliser d’autres projets artistiques tout au long de l’année.
« Le bison construit la famille et la communauté, explique Lorne Kequahtooway. Par leur travail, les élèves insufflent leur énergie aux peaux autrefois vivantes. Ce que nous faisons là est historique ; nous écrivons l’histoire en ce moment même ! Il n’y a aucune autre école du système public ou du système catholique qui invite des artistes à travailler le bison dans son enceinte. »
Former les cœurs et les esprits dans la tradition ignatienne
Le tannage des peaux n’est qu’un élément d’un programme holistique qui distingue MTMS. Située à Regina (sur le territoire du Traité no 4) et fondée en 2011, l’école dessert un corps étudiant diversifié, dont 70 pour cent sont autochtones. Elle est soutenue par les Jésuites du Canada et fait partie de la Coalition NativityMiguel, qui vise l’équité pour tous les jeunes grâce à l’éducation.
MTMS est une communauté soudée regroupant 56 élèves de la 6e à la 8e année et qui rassemble les élèves actuels, le personnel, les anciens élèves et des dirigeants locaux. Selon la directrice Terri Cote, le modèle pédagogique considère chaque personne dans sa globalité ; c’est le principe ignatien de la cura personalis. Cette approche individualisée cherche d’abord à connaître chaque élève en tant qu’individu : son identité, ses origines culturelles et familiales, ses forces et ce qu’il peut développer, ainsi que ses rêves pour l’avenir.
« MTMS cultive l’amour de l’apprentissage et permet aux élèves d’embrasser leur identité personnelle et culturelle », explique la directrice en citant l’énoncé de mission de l’école : « Nous appliquons le conseil de l’aîné Harry Francis : Aimez-vous les uns les autres et aidez-vous les uns les autres. »
Apprendre des gardiens du savoir autochtone
MTMS reconnaît l’histoire douloureuse des pensionnats autochtones au Canada. Un cadre de vérité et de réconciliation guide son programme. Celui-ci comporte un enseignement culturel autochtone et un apprentissage expérientiel proche de la terre, comme le tannage du bison et la cueillette du foin d’odeur dans la réserve des Premières Nations de Pasqua. Evan Whitestar est le défenseur des droits autochtones de l’école, il enseigne la langue crie et donne un enseignement culturel échelonné sur les trois années de fréquentation de l’école. Il dirige également le groupe Buffalo Boys Drum (le premier tambour du groupe a été fabriqué à partir d’une peau travaillée à MTMS) et enseigne aux élèves de toutes origines culturelles le tambour et le chant traditionnels autochtones.
« MTMS cultive l’amour de l’apprentissage et permet aux élèves d’embrasser leur identité personnelle et culturelle. »
par Adam Pittman, SJ Assistant provincial pour l'enseignement secondaire
Mother Teresa Middle School (MTMS) est l’un des six établissements d’enseignement officiellement parrainés ou approuvés par les Jésuites au Canada.
Certaines écoles jésuites appartiennent aux Jésuites et leurs provinces respectives les administrent ; l’école ou le collège est alors sous l’autorité et la surveillance directes des Jésuites. Dans d’autres cas, on conclut des partenariats avec des institutions qui promeuvent les valeurs, la pédagogie et la formation ignatiennes. Ces partenariats impliquent une collaboration entre l’établissement approuvé et les jésuites. Ces derniers apportent des conseils, un soutien, des ressources et l’adhésion à l’un des plus grands réseaux mondiaux d’établissements d’enseignement.
Le lien entre ces écoles et les Jésuites du Canada s’ancre dans la mission et les valeurs inspirées des principes de la Compagnie, soit la poursuite de l’excellence scolaire, la promotion de la justice, du service et de la réconciliation et la formation de leaders respectueux de l’éthique et empreints de compassion.
Toutefois, l’éducation jésuite s’inspire de quelque chose d’encore plus radical : la vie et les enseignements de Jésus-Christ. Jésus, l’enseignant et le leader-serviteur par excellence, a incarné la compassion, l’humilité et l’altruisme. Son exemple oriente tous les éducateurs jésuites en nous rappelant que la vraie grandeur réside dans le service d’autrui, en particulier dans l’assistance aux plus vulnérables et aux plus négligés.
Or tel est le lien fondamental qui existe entre MTMS et les Jésuites du Canada. Leur leadership prend les devants pour aimer, transformer et responsabiliser de manière créative et passionnée.
Ce partenariat et cette collaboration démontrent bien les avantages que MTMS tire de l’approche pédagogique jésuite. Mais plus important encore, il offre la possibilité pour les jésuites d’apprendre de la sagesse et des pratiques de leurs partenaires.
Les élèves s’instruisent également auprès de gardiennes et de gardiens du savoir autochtone qui sont hors campus. Au cours des deux derniers étés, les élèves et le personnel de l’école ont participé à une retraite d’apprentissage « au ras du sol » dans la réserve de Grandmother’s Bay (territoire de la bande indienne de Lac La Ronge en Saskatchewan). Des aînés les ont initiés à la pêche, au trappage, à la construction de tipis, au perlage et à la cuisine traditionnelle. En préconisant un apprentissage expérientiel auprès d’une variété d’enseignants, MTMS incite les élèves à considérer leur communauté comme une salle de classe.
« Avec ses partenaires communautaires, MTMS met en place un nouveau narratif, explique Mme Cote. Le fait de passer du temps avec de nouvelles personnes peut avoir un effet positif et changer la trajectoire de vie des élèves. Nous leur offrons cette occasion authentique de se connecter avec la terre, de s’engager dans leur culture et de construire un capital social. »
Depuis le premier tannage de peaux de bison en 2016, les artistes Joely BigEagle-Kequahtooway (des tribus nakota/crie/salteaux) et Lorne Kequahtooway (de la Première Nation zagime anichinabée) font désormais partie intégrante du programme d’apprentissage communautaire de l’école. Ils y donnent des cours chaque semaine sur les arts traditionnels tels que le perlage et la confection de mocassins.
Pour BigEagle-Kequahtooway, les cours d’art permettent d’entrevoir les personnes que deviendront les élèves. Elle remarque ceux qui aident leurs camarades à apprendre les techniques appropriées et ceux qui exercent un leadership dans l’action. « Ce sont des choses que vous ne relèverez peut-être pas dans une classe de mathématiques ou d’anglais », dit-elle.
Les jésuites participent également à la vie quotidienne de l’école. Pour Nader Nasralla, SJ, le service à MTMS a été l’une des expériences clés de son noviciat. Au fil du temps, il a tissé des liens avec les enfants et les adultes autochtones et, à la fin de son stage, on l’a invité à participer à une cérémonie de prière printanière. Alejandro Lozano, quant à lui, vient de revenir de MTMS. « Mon séjour là-bas a été marqué par une croissance personnelle et une grâce spirituelle. J’ai vu Dieu à l’œuvre dans la société canadienne du 21e siècle et j’y ai participé. En voyant Terri partir avec les enfants pour un bubble tea, par exemple, je me suis dit : le Seigneur est à l’œuvre ici. J’ai appris à contempler… et à imiter. »
« Je sais que le travail que nous faisons est important parce que nous semons des graines, insiste-t-elle. Nous désirons cultiver la fierté des jeunes, leur faire comprendre que ces savoirs traditionnels sont à leur portée et qu’ils n’ont qu’à se servir. »
Bien que la famille Kequahtooway ne soit pas chrétienne, elle croit profondément à la mission de l’école Mère-Teresa. La relation est « symbiotique », explique BigEagle-Kequahtooway. Leur fille est en 7e année et leur fils, qui vient de recevoir son diplôme, fréquente désormais une école secondaire privée grâce à une bourse qu’il a reçue par l’entremise de MTMS.
Soutenir la formation tout au long de la vie
Le soutien de l’école continue bien après l’obtention du diplôme. Dans une ville où seulement 44 pour cent des élèves autochtones terminent leurs études secondaires, MTMS aide ses anciens élèves à relever les défis du secondaire grâce à son programme de soutien aux diplômés. Doté d’une équipe de cinq spécialistes, le programme de soutien aux diplômés facilite la transition vers l’école secondaire avec des cours hebdomadaires sur toutes sortes de sujets, que cela soit de bonnes habitudes d’étude ou la gestion du stress. L’équipe continue de soutenir les anciens élèves au secondaire et au-delà en leur offrant de l’aide aux devoirs, des ressources en santé mentale et du counseling au niveau collégial et professionnel.
« Le programme de soutien aux diplômés a pour objectif que tous les élèves obtiennent leur diplôme d’études secondaires, poursuivent leurs études et réalisent leurs rêves », explique Ron Gonzales, directeur du programme.
Le soutien de l’école continue bien après l’obtention du diplôme.
En 2023, 74 anciens élèves de MTMS étaient inscrits au secondaire et 44 étaient inscrits au collégial ou avaient terminé leurs études postsecondaires. Ils entrent désormais sur le marché du travail en tant qu’infirmiers, programmeurs informatiques ou enseignants.
Draydin Cyr, membre de la Nation pasqua, fait partie de la première promotion de MTMS en 2011. Pour terminer son baccalauréat en pédagogie en 2023, il est revenu à l’école comme stagiaire en enseignement.
« L’atmosphère est la même que lorsque j’ai franchi les portes de l’école pour la première fois, confie-t-il. On y retrouve ce sentiment d’appartenance et de connexion. Les cercles d’appartenance ont suscité mon intérêt pour l’enseignement. J’ai mesuré l’influence que les enseignants et le personnel ont eue dans ma vie et j’ai voulu mettre la main à la pâte. »