Les habitants de ce qu’on appelle le Canada sont aujourd’hui confrontés à la COVID-19. C’est loin d’être la première épidémie à s’attaquer au continent : durant les premiers siècles après l’arrivée des Européens en Amérique, jusqu’à 95% des populations autochtones ont été emportées entre autres par de nouvelles maladies. Les habitants de la « Nouvelle-France » n’ont pas été épargnés. Missionnaires très actifs dans la région, les jésuites ont écrit sur les ravages des épidémies, leurs réactions et celles des populations autochtones, comme les Hurons-Wendats.
Cette histoire peut nous apprendre qu’hier comme aujourd’hui, ce sont les personnes vulnérables qui souffrent le plus lors des épidémies. Encore maintenant, plusieurs communautés des Premières nations, Métis et Inuit sont très fragiles face à la COVID-19, entre autres à cause du manque de ressources comme, trop souvent, de l’eau courante. Aussi, comme avec la pandémie actuelle, les aînés, responsables de la transmission du savoir, étaient particulièrement vulnérables aux maladies : leur mort a entrainé une coupure. Enfin, cette histoire rappelle que pratiquer l’auto-isolation, ça sauve des vies !
Comment savoir ce qui s’est passé ?
Les jésuites ont beaucoup écrit sur la maladie dans les Relations, des rapports annuels sur leurs missions. Ces livres et d’autres documents manuscrits sont, comme toute source historique, subjectifs. Le point de vue des Autochtones sur les épidémies réside quant à lui peut-être moins dans les écrits jésuites que dans leurs propres formes de communication, comme les histoires orales. L’une d’elles (rapportée par l’ethnologue Marius Barbeau) raconte qu‘un homme reçut d’un Blanc une bouteille contenant la petite vérole, qui commença à se répandre avant d’être combattu par la mouffette.
Lire les documents du passé peut être choquant. Par exemple, les jésuites critiquaient beaucoup les coutumes autochtones, surtout celles qui entraient en contradiction avec le christianisme. Les missionnaires et les Européens en général ont participé à l’entreprise de colonisation qui a répercussions négatives encore aujourd’hui, ce dont il faut être conscient.
Mais replacé dans le contexte de l’époque, quel était le but des jésuites ? Ils voulaient secourir les gens, prenant des risques, même celui de mourir.
Ce serait un trop grand honneur de perdre la vie en nous employant à sauver quelque pauvre âme. – Relation de 1637
Aujourd’hui encore, comme on a pu le lire dans ces mêmes pages, les œuvres jésuites cherchent à aller aux frontières, malgré la pandémie, pour offrir leurs services à ceux qui souffrent.
Épidémies chez les Wendats
Via les relations directes ou non avec les Européens, les Wendats ont été frappés terriblement par différentes épidémies dans les années 1630 et 1640, qui auraient décimé environ un tiers de leurs communautés. En 1634, le P. Jean de Brébeuf décrivit une maladie avec fièvre brûlante, éruptions cutanées et forte diarrhée. En 1636, une terrible épidémie qui ressemblait à l’influenza causa crampes et fièvres. En 1639 encore, les Wendats furent décimés par la petite vérole. Certes, les Européens pouvaient aussi tomber malades, mais le résultat était dévastateur dans les communautés de Wendake.
Pourquoi tant de morts ? Parce que les Wendats n’avaient pas d’immunité face à ces nouvelles maladies ? En partie. Mais d’autres facteurs aggravants liés à la colonisation (stress, guerre, malnutrition) sont aussi entrés en jeu. Comme aujourd’hui, les virus pouvaient frapper presque tout le monde, mais tous n’étaient pas égaux face à eux.
Jésuites et Wendats contre la maladie
Wendats et jésuites avaient des interprétations différentes de la maladie. Chez les premiers, la cause des épidémies était plutôt des forces maléfiques, qui pouvaient être neutralisées par la découverte de l’agresseur, des rituels et des remèdes.
Pour les jésuites, elle était un fléau infligé par Dieu qui pouvait être guéri par le « surnaturel » catholique. Les missionnaires distribuaient par exemple des croix pour tenter de guérir et aussi montrer la supériorité de la foi catholique.
Lors des épidémies, les missionnaires se rendaient au chevet des malades, pour essayer de les guérir, mais surtout pour les baptiser avant leur mort et ainsi les sauver de l’enfer. Ces soins ont eu deux effets très opposés.
D’une part, à force de voir les malades soignés par les jésuites décéder, des Wendats ont accusé les missionnaires d’être des sorciers causant la mort et menaçaient donc de les tuer.
D’autre part, certains Wendats étaient réceptifs aux soins temporels et spirituels des missionnaires. Plusieurs considéraient ainsi que le baptême était une cérémonie de guérison, ce dont les missionnaires se sont d’ailleurs plaints ! Les Wendats pouvaient aussi ajouter à leurs propres pratiques certains remèdes proposés par les pères, comme du sucre ou encore la fameuse saignée. Selon les écrits des missionnaires, le partage de leur pharmacopée a entraîné une certaine sympathie de la part des Wendats, tout comme l’attention qu’ils portaient charitablement aux malades.
La plupart ne nous regardaient que comme des personnes desquelles ils attendaient de la consolation et même quelque soulagement de leur mal. – Relation de 1637
Les Wendats n’étaient pas les seuls à tomber malades lors des épidémies ni à accepter des remèdes « exotiques ». Par exemple, en 1637, des missionnaires attrapèrent la grippe. Pour se soigner, ils acceptèrent les remèdes (mais pas le rituel de la suerie) proposés par le shaman Tonneraouanont. Ils guérirent trois jours plus tard comme le Wendat l’avait prédit, mais sans lui en donner le crédit.
En apprendre plus sur l’histoire des épidémies peut éclairer ce que l’on vit actuellement. Curieux d’en savoir plus ? Lisez par exemple L’héritage du cercle (Georges Sioui), A not so New World (Christopher Parsons) ou La Nouvelle-France et le monde (Allan Greer).