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31 juillet 2024
Par le père Jeffrey S. Burwell, SJ
Lectures : Jérémie 20.7-9 ; Psaume 33 ; 1 Corinthiens 10.31-11.1 ; Luc 14.25-33
Quel honneur de présider la liturgie d’aujourd’hui et d’être présent dans cette église parmi tant d’amis, de proches, de compagnons jésuites et de partenaires dans la mission.
Nous nous réunissons aujourd’hui – comme chaque année le 31 juillet – pour célébrer la fête de saint Ignace de Loyola. En plus d’être l’un des sept premiers compagnons de la Compagnie de Jésus et son premier supérieur général, ses écrits spirituels et son héritage apostolique ont influencé les Jésuites et d’innombrables autres personnes pendant 500 ans.
Ce rassemblement marque également une transition pour le Père Erik Oland SJ et moi-même. Ayant achevé son mandat administratif hier, nous réfléchissons avec gratitude au bon travail qu’il a accompli en tant que supérieur majeur des Jésuites du Canada. Reconnaissant que je poursuis ce même service en tant que son successeur désigné, nous nous arrêtons pour considérer dans la prière les opportunités qui nous attendent.
J’ai appris en mars que notre Supérieur général (le Père Arturo Sosa SJ) m’avait nommé Provincial des Jésuites du Canada, ce qui inclut actuellement les intrépides Jésuites d’Haïti qui restent juridiquement liés à nous. Depuis lors, j’ai ressenti un sentiment de paix et de consolation. Je reconnais que les fondements apostoliques établis par le père Oland sont solides et j’entame mon mandat dans une position de stabilité et de force. Si la mission des Jésuites du Canada continue de s’épanouir sous ma direction, c’est en grande partie grâce à la sagesse, aux connaissances et aux conseils de mon prédécesseur.
Il y a 27 ans, j’ai fait le choix de donner ma vie sans compter et de mener la bataille sans tenir compte des blessures – c’est-à-dire de choisir la vie en tant que jésuite. Bien que les années aient certainement comporté quelques défis, la décision d’entrer dans la Compagnie de Jésus m’a apporté une joie profonde et un profond épanouissement. Saint Ignace aimait à demander : Que sert-il à un homme de gagner le monde entier et de perdre son âme ?
Comme il aurait été tragique que j’ignore le désir de faire de grandes choses pour le Seigneur et que je me contente de ce que le monde a à offrir. Ni les richesses, ni les honneurs, ni le pouvoir n’apporteront une joie durable ; avec ces seuls éléments, il n’y a pas de vraie consolation. Nous savons que nos cœurs sont sans repos tant qu’ils ne reposent pas en Dieu. En tant que tel, je reconnais (avec une profonde gratitude) chaque personne qui a nourri et soutenu ma vocation à la Compagnie de Jésus. Je ne changerais pas une seule de mes décisions, car chacune d’entre elles – les sages comme les folles – m’a formé et m’a aidé à me préparer pour ce moment.
Considérons maintenant l’importance de la fête d’aujourd’hui. Rappelons tout d’abord que saint Ignace est né en 1491 dans la région basque de l’Espagne, à une époque où le monde était en pleine mutation. Les explorateurs européens avaient rencontré des civilisations autochtones dans ce que l’on appelle aujourd’hui les Amériques ; la Renaissance était en plein essor et l’Église elle-même était confrontée aux défis associés à la Réforme. Malgré les possibilités qui se présentent à lui dans sa jeunesse, Ignace ne s’intéresse qu’à lui-même.
Il avait du mal à se défaire de son désir adolescent de rechercher les honneurs mondains. Jeune homme, il a été soldat, cherchant souvent à se distinguer par des actes de bravoure et de courage malavisés. L’un de ces actes de bravade a entraîné une blessure catastrophique à la jambe par un boulet de canon, ce qui a mis fin à sa carrière militaire et marqué le début d’une longue et douloureuse convalescence. Toutefois, l’histoire nous a montré que ce n’était pas la fin de son histoire, mais plutôt le début.
Pendant cette période de tranquillité forcée – confiné à son lit – Ignace commence à lire des ouvrages sur la vie du Christ et sur l’héritage des saints. Ces livres (comme on l’enseigne à chaque jésuite pendant son noviciat) étaient les seuls textes disponibles dans la maison. Ainsi, au fil des pages, Ignace a commencé à ressentir un éveil spirituel ; il a commencé à voir le monde d’une nouvelle manière. Il a vu, peut-être pour la première fois, qu’il y avait plus de choses à vivre au-delà de ses besoins, de ses désirs et de ses envies.
Bien que lente, la conversion d’Ignace fut profonde. Son autobiographie nous apprend qu’il ne s’agissait pas simplement d’un changement de cœur, mais d’une rencontre concrète qui a réorienté toute sa vie. Reflétant ce que nous dit Jérémie (20,7) dans la première lecture, il a été tellement séduit par l’amour et la miséricorde du Christ, qui pardonnait même ses péchés passés, que cela a allumé en lui un désir inextinguible de se donner entièrement à Jésus. C’est l’expérience du boulet qui a conduit Ignace à ne plus rechercher les honneurs du monde, mais à tout sacrifier pour la plus grande gloire de Dieu, faisant écho à saint Paul (1 Corinthiens 10, 31) dans la deuxième lecture.
Ayant fait l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Seigneur, Ignace en est venu à croire que d’autres pouvaient vivre une expérience similaire. Il imaginait un monde où les relations brisées pourraient être guéries, où les pécheurs repentants pourraient trouver le pardon, où les âmes troublées trouveraient la paix et où la foi des chrétiens tièdes pourrait à nouveau s’enflammer. Sa perspective religieuse pleine d’espoir a naturellement attiré des adeptes. Les premiers jésuites, un petit groupe de six personnes, étaient des hommes qui percevaient l’ampleur de sa vision et voulaient suivre ses traces.
À partir de là, son héritage s’est développé au fil des siècles et se manifeste aujourd’hui dans les plus de 14 000 membres de la Compagnie de Jésus contemporaine. Dans le monde entier, nos prêtres et nos frères continuent d’exercer leur ministère de manière dynamique et féconde. Face au mécontentement social et à l’isolement croissants, les jésuites offrent l’espoir d’un avenir rempli de grâce. Dans des contextes de plus en plus séculiers et anti-religieux, les jésuites créent un espace de croissance spirituelle. À une époque de polarisation idéologique à l’échelle mondiale, les jésuites proclament sans équivoque que c’est le Christ seul qui apporte une réconciliation authentique.
Dans le contexte canadien, nous avons la chance d’avoir un groupe dynamique d’hommes qui exercent un ministère actif. Chacun d’entre eux a consacré sa vie au service de l’Église et à la mission mondiale de la Compagnie de Jésus. Répondant au défi lancé par Luc (14,26) dans l’Évangile – prendre sa croix et suivre le Seigneur – les jésuites de notre province travaillent chaque jour avec fidélité et intensité. Je ne saurais être plus fier de ces fidèles compagnons de Jésus.
Cependant, comme nous le savons, le ministère de la Compagnie de Jésus ne s’exerce pas isolément. Sans le soutien des autres – sans l’engagement de ceux qui partagent notre désir d’œuvrer à la réalisation de la vision d’Ignace – nous serions appauvris sur le plan apostolique. Ceux qui travaillent avec nous (et ceux qui nous soutiennent financièrement et par une prière constante) font partie intégrante de la mission au sens large. Ils apportent des dons, des ressources et des perspectives uniques à notre entreprise commune ; ils enrichissent nos ministères jésuites et étendent notre portée apostolique. Je ne saurais trop les remercier pour leur générosité, leur attention et leur désir d’être des hommes et des femmes de service.
Depuis que j’ai été nommé Provincial, on m’a demandé un nombre incalculable de fois quelle était ma vision de la Province et de ses apostolats. Les gens soulignent les énormes problèmes auxquels l’Église est confrontée ; ils soulignent combien il est difficile de répondre aux nombreuses préoccupations du monde contemporain. S’il est vrai que les tâches sont immenses et que nous sommes petits, cela n’est pas pour moi une source d’inquiétude. La Compagnie n’a pas été créée pour tout faire ; Ignace n’a jamais pensé que ses hommes devaient s’impliquer dans toutes les œuvres corporelles ou spirituelles. Au contraire, il a envoyé les Jésuites principalement dans les ministères où les besoins et les opportunités semblaient les plus importants.
Cependant, pour être disponible pour la mission, un jésuite doit être spirituellement libre. Chaque fois que nous disons OUI à un acte de service, nous devons dire NON à un autre. Cela dit, il ne s’agit en aucun cas d’un appauvrissement ; au contraire, cela révèle une grande vertu héroïque. Souvenons-nous des paroles de saint Maximilien Kolbe, qui est allé volontairement à la mort à Auschwitz pour en sauver un autre : L’amour vit du sacrifice et se nourrit du don. Sans sacrifice, il n’y a pas d’amour. Nous pouvons discerner facilement l’appel de Dieu, mais cela ne signifie pas grand-chose si nous n’avons pas l’humilité de laisser tomber tout le reste et de répondre sans compromis.
Je me réfère souvent à la première dizaine des mystères joyeux (l’Annonciation) comme exemple de ce à quoi devrait ressembler la liberté spirituelle. Lorsque l’ange Gabriel est apparu à notre Sainte Mère et lui a demandé de concevoir, de porter et d’élever l’enfant Jésus, Marie s’est engagée volontairement dans un mystère absolu. Elle n’avait aucune idée de ce que l’avenir lui réservait et n’a certainement pas demandé à l’ange un plan stratégique sur 33 ans.
Au contraire, elle savait qui lui adressait la demande et elle s’est fiée à cet appel. Sa grande liberté spirituelle devrait nous servir de modèle. Nous ne pouvons jamais savoir ce que l’avenir nous réserve, et nous hésitons toujours à dire OUI à l’appel de Dieu lorsque nous ne pouvons ni prévoir l’avenir ni contrôler ce qui va se passer. Cependant, si nous gardons Jésus au cœur de notre vie – comme Marie – et cherchons à nous rapprocher de lui chaque jour, nous nous sentons rapidement encouragés à prendre de nouvelles directions, nous devenons imaginatifs dans nos désirs et nous nous dirigeons sans hésitation vers de nouveaux horizons. Aujourd’hui est un moment d’Annonciation pour moi, pour les Jésuites du Canada et pour nos partenaires dans la mission. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve, mais nous savons qui nous sollicite et nous faisons confiance à cet appel.
Voyons donc dans quelle mesure nous sommes prêts à renoncer à notre luxe, à notre confort, à nos routines et à nos projets pour aller là où le besoin est le plus grand. Nous aurons manqué à notre devoir et à celui de notre Seigneur si nous restons attachés à notre situation actuelle parce qu’elle nous est familière ou (pire encore) parce qu’elle est facile. Tout comme notre Sainte Mère n’a pas choisi le confort aux dépens de la mission, nous ne le ferons pas non plus. En tant que compagnons de Jésus qui suivent les traces d’Ignace, nous viserons plus haut.
Mes amis, je vous remercie d’être ici en cette occasion ; je suis reconnaissant de votre présence à la célébration d’aujourd’hui. Soyez assurés des prières que nous adressons chaque jour pour nos amis et bienfaiteurs. Avec l’exemple de saint Ignace comme guide, que chacun d’entre nous soit inspiré à vivre non pas simplement pour lui-même ou pour ses propres attachements égoïstes, mais plutôt – avec la grâce de Dieu – à ne chercher qu’à faire sa volonté et à viser toujours sa plus grande gloire.
Que Dieu vous bénisse tout un chacun.
P. Jeffrey Burwell, SJ
CAN Provincial