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Histoires

photo : Ferme Berthe-Ro

Après des mois de confinement à Montréal, j’étais contente de me rendre à la Ferme Berthe-Rousseau, organisme situé sur 40 acres à Durham-Sud et dont la mission est d’accueillir et d’héberger des personnes vivant des situations de vie difficiles. Marie-Ève Barbeau, une des responsables, m’a reçue avec une joie et une passion qui transparaissaient déjà au téléphone.

Si la ferme n’est pas confessionnelle, elle fait toutefois partie du réseau des œuvres jésuites du Canada. Elle est fermement ancrée dans la valeur ignatienne de la contemplation dans l’action. Elle permet aux résidents de prendre du recul, de trouver de nouvelles perspectives, peut-être plus axées sur le bien dans leur vie.

« Nous sommes des femmes et des hommes pour qui la vie compte d’abord », indique Michel Corbeil, SJ, l’un des fondateurs, « cela inclut tout le monde et suppose une attention à ce qui évolue en nous et autour de nous. »

Le sens ignatien de la justice et de l’écologie est aussi réalisé à la ferme. « Nous faisons des choix peut-être radicaux par rapport au besoin des organismes d’aujourd’hui d’être rentables et axés sur les résultats », souligne Marie-Ève.

photo : Jean Heppel

À la Ferme, accueil, écologie, vie communautaire et éducation sont différents aspects d’une même mission. La production agricole biologique sert de prétexte à la vie en groupe, à l’accompagnement, à l’écoute, à la construction de liens.

« À la Ferme Berthe-Rousseau, nous prenons soin de la terre et de l’eau, et de ce qui en nous-même est le plus beau. Nous jardinons et prenons soin des animaux et des humains, de cœur à cœur et de main à main. Quand le jour se lève, nous commençons à semer les graines de la bonté, les semences de notre beauté pour le bien commun », d’écrire poétiquement Pascal Melançon, ancien résident.

Un peu d’histoire

Après la fondation de l’organisme de coopération internationale Salut, le monde ! dans les années 80 et après avoir été fraternellement reçu par des familles du Sud qui partageaient le peu qu’elles possédaient, un groupe a voulu accompagner les démunis du Québec. Ce fut la naissance de la ferme.

photo : José Sánchez

« Ils se sont dit qu’ils allaient travailler auprès des gens qui ont des enjeux de santé mentale, sont itinérants, dans l’isolement », explique Marie-Ève. « La mission est d’accueillir des gens qui ont besoin d’un ressourcement et de la vie communautaire pour vivre leur quotidien. C’est un lieu de transition, mais on ne met pas de pression pour atteindre un niveau de réinsertion. » Julia Roy, une autre responsable, rajoute que « la Ferme est un lieu où on est vraiment accueilli et accepté comme on est. »

Bref, c’est un « endroit pour être zen et non dans la performance », selon William, un résident. Et l’écologie fait partie intégrante de la mission de la Ferme.

Santé mentale et écologie

La Ferme est un modèle de mode de vie durable. « On fait la vaisselle à la main pour être ensemble. On a une compolette (compost-toilette) pour économiser l’eau. C’est in, le mode de vie zéro-déchet en ce moment, mais quand tu habites à la Ferme, ça vient de soi. Les visiteurs et résidents sont sensibilisés à cet enjeu de préservation de la maison commune », souligne Marie-Ève.

photo : Ferme Berthe-Rousseau

Cette attention à l’environnement vient des racines mêmes de l’organisme. « Tous les gens à la base de la Ferme ont été attirés par les valeurs de production locale, écologique. Il y avait des agronomes dans les jeunes qui ont fondé la Ferme, et des techniciens agricoles », de dire la responsable. La Ferme possède une vache et des chèvres laitières ainsi qu’un jardin de fruits et légumes dont la récolte dure une bonne partie de l’année. « Cette année, on n’a quasiment pas fait l’épicerie », explique Marie-Ève, « on a acheté des produits secs comme de la farine, qu’on ne produit pas. »

photo : Ferme Berthe-Rousseau

« On offre aux résidents du travail concret pour se sortir de la tête. Ce qui est intéressant, aussi, c’est que le projet permet à des personnes habituellement marginalisées en raison d’enjeux de santé mentale de revivre une appartenance à un groupe. Les gens, quand ils arrivent à la Ferme, sentent qu’ils sont impliqués dans un projet différent et ça leur donne du sens. »

« Les jardins sont un prétexte pour être avec les gens, leur montrer c’est quoi l’autosuffisance et qu’ils se mettent en action, qu’ils retrouvent un équilibre dans leur vie », ajoute Julia, ancienne maraîchère. « Ça t’amène quelque chose de gratifiant de te dire : “Hé, on va manger la nourriture que j’ai fait pousser.” »

« Pour ma part, ça me donne un break. C’est du temps pour se reposer, se déposer. Ici, j’ai l’impression de travailler », témoigne William, qui avait entendu parler de la Ferme en thérapie.

Marie-Ève de rajouter: « Quelqu’un qui est venu à la Ferme récemment a dit : “Toute ma vie, j’ai été considéré comme un parasite de la société, mais là, j’ai l’occasion de participer à un projet commun plus grand que moi, et différent de la société dans laquelle je ne suis pas capable de m’intégrer”. »

Bref, le travail communautaire, qui se fait entre autres dans l’étable ou au jardin, fait beaucoup de bien, même si ce ne sont pas tous les résidents qui ont un grand intérêt pour l’agriculture.

photo : Ferme Berthe-Rousseau

Une vie communautaire

Lors de la visite, Marie-Ève m’a présenté son conjoint, aussi responsable, et leurs deux jeunes enfants. En effet, dans une approche du vivre-ensemble, l’équipe habite sur place, ce qui donne des moments informels entre les résidents et l’équipe, où les plus “belles interventions” se font. « De beaux partages se passent au quotidien. On espère qu’ils se sentent accueillis et je pense qu’on y arrive. On reproduit une vie de famille et une vie de communauté qu’on n’est pas habitué à avoir dans la vie d’aujourd’hui. C’est riche, malgré les aspects de la cohabitation qui sont plus difficiles. »

En plus des résidents, la communauté accueille régulièrement des visiteurs, venus vivre un break du béton. Les repas comptent parfois jusqu’à 25 personnes! La Ferme est également ouverte sur sa communauté : elle a développé de forts liens avec ses voisins et le village de Durham-Sud.

Justement, pendant ma visite au jardin, nous rencontrons Jean-Marc, un voisin en train de cueillir ses concombres. Selon ses dires enthousiastes, la Ferme crée des réseaux.

« Je suis natif d’ici et j’ai connu plein de personnes en fréquentant la Ferme. Elle crée des liens, te fait connaître de nouvelles personnes, de nouvelles manières de penser. Elle apporte une nouvelle énergie au niveau de la communauté. »

Un impact à plus grande échelle

La Ferme Berthe-Rousseau a aussi une mission éducative. « L’an dernier, se rappelle Jean-Marc, des jeunes du Collège Régina Assumpta ont été surpris de voir que c’est comme ça qu’on produit des légumes! » Marie-Ève ajoute: « Des groupes de scouts sont venus et on nettoyait les enclos avec eux. Une fille a dit: “je comprends toute l’énergie derrière la pinte de lait que j’achète à l’épicerie”. Quand elle a dit ça, je me suis dit que c’est pour ça qu’on existe aussi. »

« C’est fou ce que ça amène pour toi à l’intérieur d’être dans un lieu aussi beau, aussi paisible, aussi connecté avec la nature, les animaux. C’est vraiment merveilleux », termine Julia.

La Ferme et les communautés jésuites

La Ferme peut aussi inspirer les œuvres et communautés jésuites, selon Marie-Ève. « Je pense qu’on pourrait échanger davantage sur les réalités que les participants de la Ferme vivent à propos des enjeux de santé mentale et comment vivre ensemble dans la différence. Je pense qu’il y a un volet d’analyse sociale qui pourrait être vraiment intéressant. Puis, au niveau écologique, on aimerait partager avec les autres l’importance de la production locale. Est-ce que les œuvres jésuites pourraient penser à une façon de s’approvisionner de façon éthique auprès de leurs différents fournisseurs? Comment on peut réfléchir à notre modèle de consommation finalement? Je pense que ce qu’on a à partager et à échanger, ce sont des réflexions sur le vivre-ensemble. »

La Ferme et les PAU

Évidemment, la Ferme a des racines profondes dans l’engagement de collaborer avec les autres à la protection de notre maison commune et dans le cheminement avec les marginalisés. Comme les autres œuvres jésuites, la Ferme a participé au processus de discernement pour les Préférences apostoliques universelles.

Au niveau de l’accompagnement des jeunes, la Ferme accueille autant des adultes dans la vingtaine que des gens de 65 ans. « Il y a une mobilisation des jeunes à la Ferme, c’est une place où ils peuvent venir s’impliquer. La cause qu’on défend vient chercher les jeunes », de dire Marie-Ève.

« On est moins dans l’accompagnement spirituel, continue-t-elle, mais ce que je comprends de l’approche jésuite au niveau du discernement, c’est l’importance du recul, des moments de contemplation pour bien saisir une situation. La mission de la Ferme permet aux résidents de faire cela, bien que nous ne pratiquions pas les exercices spirituels comme tels. On espère que le cadre de vie permet d’avoir un nouveau regard. Même chose au niveau de l’équipe :  on doit prendre du recul pour gérer, avec peu de moyens, la ferme et l’accueil. »

photo : Ferme Berthe-Rousseau

Comment contribuer au succès de la Ferme?

Les jésuites et collègues peuvent aider la Ferme en parlant d’elle dans leur réseau professionnel. « Savoir que ça existe et en parler autour, parce que chacun d’entre nous peut vivre un moment de fragilité dans sa vie et avoir besoin d’un lieu comme la Ferme. Bien entendu, ce qui nous aide également beaucoup, ce sont les dons financiers. »

Les visiteurs et les familles peuvent aussi aller à la Ferme. Ils participent à différents types d’activité : désherber, cueillir, préparer des planches, s’occuper les animaux, faire de petits travaux sur la maison, cuisiner.

La Ferme cherche des membres sur son conseil d’administration pour appuyer par exemple la recherche de financement, la gestion des bâtiments ou les ressources humaines.

Enfin, des bénévoles sont toujours recherchés pour différentes tâches  d’entretien des jardins et des bâtiments, de cuisine ou d’administration.

 

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