Par Colleen Hogan
Plusieurs congrégations s’inspirent de la spiritualité de saint Ignace et la formation ignatienne exige normalement qu’on passe beaucoup de temps en classe. Dan Leckman, frère jésuite, et Sonal Castelino, xavière missionnaire du Christ Jésus, peuvent en attester.
Toutefois, fidèle à la conviction d’Ignace de Loyola qu’on peut trouver Dieu en toutes choses, la formation ignatienne se concrétise également à l’extérieur de la salle de classe ; on la retrouve dans chaque expérience, chaque interaction, chaque prière de la vie d’une personne. Dan et Sonal partagent ici la manière dont la spiritualité et la formation ignatiennes les ont façonnés, eux et leur activité apostolique. Ils illustrent ici ce que peut être la formation ignatienne pour le ministère d’aujourd’hui.
Quelle formation avez-vous reçue à l’université?
Il ne s’agissait pas seulement d’apprendre et de grandir dans la foi, mais aussi de rencontrer des croyantes et des croyants qui ont l’esprit missionnaire.
Sonal. Pour la spiritualité ignatienne, j’ai fait ma théologie à Regis College — la faculté jésuite de théologie à Toronto — avec Dan. Dans le programme de maîtrise, on nous a formés à la pastorale et nous avons exploré la façon de rendre la théologie plus accessible aux personnes que nous rencontrons régulièrement.
Dan. J’ai abordé ce programme avec beaucoup de réticence, parce que je ne suis pas très doué pour les études et que j’avais déjà deux diplômes de l’Université McGill et un de l’Université Concordia. Toutefois, j’y ai rencontré des gens comme Sonal et j’ai pris conscience que ces « études » étaient comme une extension de la communauté. Il ne s’agissait pas seulement d’apprendre et de grandir dans la foi, mais aussi de rencontrer des croyantes et des croyants qui ont l’esprit missionnaire.
Quelle expérience avez-vous faites au noviciat?
Dan. Le noviciat a été pour moi une expérience communautaire très intense qui m’a fait découvrir la manière ignatienne d’être, de prier, de voir le monde, etc. Les deux premières semaines, je me suis senti complètement en dehors de mon élément, comme dans la chanson Creep de Radiohead (« I don’t belong here »). En effet, dans ma classe de noviciat, à côté de moi, avec mon minable diplôme de premier cycle, il y avait un docteur en astrophysique de Princeton et un diplômé en droit de Harvard. C’était intimidant.
Au bout de quelques semaines, j’ai appris que l’important n’était pas les études, mais les dons que l’on avait reçus et la façon dont on les vivait ensemble. On a besoin de tous ceux qui viennent au noviciat. Nous avons tous un rôle à jouer.
Sonal. Les Xavières sont une congrégation religieuse française et j’ai fait mon noviciat en France. La première année a pour but de mieux connaître Jésus et d’aspirer à marcher à sa suite par la conversion et une conversion permanente. La deuxième année cultive la volonté d’être envoyée en mission n’importe où, sur les traces du Christ. La spiritualité et la formation ignatiennes m’ont aidée à me rendre plus disponible pour cette démarche.
Quelle est la place des Exercices spirituels dans votre cheminement ignatien?
Sonal. Pendant mon noviciat, les Exercices spirituels ont été une étape pratique de ma formation. Reconnaître que nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, créés dans l’amour pour vivre dans l’amour. Voir comment nous répondons ou non à cette invitation et faire l’expérience de l’infinie miséricorde de Dieu. Nous entrons ainsi dans une relation pleine et entière, non pas par le travail ou l’action, mais par ce que nous sommes au niveau de notre être.
Comme dit Sonal, il ne s’agit pas de faire, mais d’être ; cela peut paraître un cliché dans notre monde, mais c’est vraiment la clé pour apprendre à vivre.
Dan. Les Exercices sont une expérience très humaine, une expérience vécue et engageante de rencontre avec Dieu. Quand j’ai médité la scène de la Nativité au troisième an, j’étais là, debout, à me demander ce que j’étais censé faire ici. Ce n’est pas mon histoire. C’est l’histoire de Joseph, Marie et Jésus. Le Saint-Esprit a dû m’inspirer, car Joseph m’a tendu la main : « Bravo, tu y es arrivé, Dieu merci ! Tu n’as qu’à rester avec nous, c’est tout. Ton travail, c’est d’être avec nous. » Comme dit Sonal, il ne s’agit pas de faire, mais d’être ; cela peut paraître un cliché dans notre monde, mais c’est vraiment la clé pour apprendre à vivre.
Quelles autres influences ont marqué votre formation et votre spiritualité?
Dan. [Le père] James Martin m’a beaucoup marqué. Je parle aux gens de ce que j’ai trouvé dans ses livres, il y a déjà plusieurs années. La prière, c’est essentiellement de se présenter et de se taire. Tu te présentes, tu laisses tomber tes idées toutes faites et tu te connectes. C’est incroyable le nombre de personnes que je vois guérir grâce à cette approche. Pour moi, cela fait partie de l’apprentissage ignatien ; c’est-à-dire apprendre à se connecter réellement pour s’engager avec Dieu et le monde.
Sonal. Pour moi, c’est l’examen. C’est vraiment ce qui m’a initiée à la spiritualité ignatienne. Quand j’ai discerné un appel à la vie religieuse, cette forme de prière a été fondamentale pour moi. Vous demandez la grâce de regarder votre journée avec les yeux de l’Esprit-Saint et vous voyez les moments qui ont été porteurs de vie et ceux qui ont été difficiles, mortifères. Vous demandez un esprit de gratitude pour les bons moments, le pardon pour les moments où vous n’avez pas été à la hauteur et la grâce de la fidélité pour le lendemain.
Dans votre ministère, avez-vous formé d’autres personnes à la spiritualité ignatienne?
Sonal. J’ai fait mes premiers vœux le 15 août 2021 et on m’a envoyée à Toronto. Je travaille maintenant en pastorale universitaire à l’Université de St. Michael’s College. Mon rôle consiste beaucoup à être à l’écoute des étudiants qui explorent leur liberté et en repoussent les limites pour la première fois. La spiritualité ignatienne m’aide à créer un espace ouvert et accueillant où les étudiants sont en sécurité et vivent un sentiment d’appartenance pour avoir le courage de poursuivre cette exploration.
L’année dernière, pendant le carême, nous avons utilisé une ressource intitulée « Les premiers Exercices spirituels ». Les gens peuvent choisir une méthode qui leur parle, par exemple un passage de l’Écriture sainte médité selon la Lectio divina : on écoute et on reste avec le passage. Pour certains, c’est l’imagination, comme le fait de peindre un tableau. Pour d’autres, ce sont les conversations et le groupe qui les ont le plus aidés.
La spiritualité ignatienne m’aide à créer un espace ouvert et accueillant où les étudiants sont en sécurité et vivent un sentiment d’appartenance pour avoir le courage de poursuivre cette exploration.
Dan. Je travaille comme directeur spirituel à Guelph [à l’Ignatius Jesuit Centre]. L’un de mes défis, mais aussi l’une de mes joies, c’est de donner les Exercices et les retraites de huit jours. Il y a des retraitants qui me disent : « Chaque fois que je parle à Dieu, je n’entends que ma voix à moi, je n’entends pas tellement Dieu. » Je les renvoie au premier chapitre de la Genèse qui nous dit que nous sommes créés à l’image de Dieu. Dieu ne pourrait-il pas se trouver dans nos pensées, nos émotions, nos expériences ? Pour bien des gens, c’est une révélation.
Quelles ressources recommanderiez-vous à des personnes qui veulent progresser dans la spiritualité ignatienne?
Dan. Du père James Martin : Une spiritualité pour la vie réelle : le guide jésuite pour (presque) tout ; du père Raniero Cantalamessa : La montée du Sinaï. À la rencontre du Dieu vivant ; le podcast « Jesuitical » publié par le magazine America ; et l’application Reimagining the Examen.
Sonal. De Mark Thibodeau : Reimagining the Ignatian Examen [Repenser l’examen ignatien] et God’s Voice Within [La voix de Dieu en nous] ; du père Timothy Gallagher : The Discernment of Spirits [Le discernement des esprits] ; et de Margaret Silf : Inner Compass [La boussole intérieure].