Vous est-il déjà arrivé d’être dans une réunion où des participants tiennent mordicus à leur position sans écouter les autres? Ou de devoir prendre une décision importante en groupe, mais sans savoir comment faire?
Dans les années 1980, des jésuites canadiens (notamment John English), des religieuses et des laïcs ont transposé leur expérience des Exercices spirituels et du discernement personnel dans un contexte de groupe. Ce discernement en commun permet justement aux organisations, religieuses ou non, de devenir plus conscientes de leur identité, de leur raison d’être et de leur mission et ainsi de déployer leur activité de manière cohérente grâce entre autres à l’écoute intérieure, aux tours de parole, à l’écoute active et à un encadrement ignatien.
« C’est vraiment un héritage que la Province a mis au point », souligne la sœur xavière Laurence Loubières, un héritage qui a été actualisé dans les dernières années avec la création d’un Service au discernement en commun dont elle est la directrice. Ce service s’adresse aux organisations religieuses, mais projette d’offrir ses services au monde des affaires entre autres. Voyons comment les gens le vivent de l’intérieur.
Le Service au discernement en commun pour la Province
Depuis deux ans maintenant, Sr. Loubières est à la tête du Service au discernement en commun, un service de la Province jésuite du Canada:
J’ai vécu de belles missions, aussi bien avec des jésuites, des apostolats et communautés jésuites qu’avec des congrégations religieuses féminines. Là, on est en train de vivre un projet assez important avec le P. Mongeau et la Conférence religieuse canadienne. Cela va très bien. Enfin, je vois qu’il y a vraiment beaucoup de potentiel.
Sr Loubières est entre autres en train de développer des outils de formation, comme des capsules vidéo, pour permettre à la Province de se former. Elle est aussi en lien avec plusieurs personnes qui travaillent au discernement en commun à l’international.
Le discernement en commun dans des entreprises privées
Le discernement en commun peut aussi se faire dans des contextes non religieux ! Sr Loubières a été par exemple cadre en entreprise privée pendant plusieurs années et elle faisait vivre à son équipe des exercices s’apparentant à la démarche du discernement.
« J’invitais chaque membre de l’équipe à relire les six derniers mois dans notre travail. En réunion, je leur apprenais à parler et à écouter, chacun son tour. On regardait ce qui converge, ce qui donne du goût et de l’énergie à tout le monde ou au contraire ce qui va moins bien. Et six mois après, on vérifie si les changements fonctionnent. Ça donne aux gens la capacité de réfléchir à ce qu’ils sont en train de vivre et d’y réagir. »
Le discernement en commun dans le milieu religieux
Sœur Hélène Pinard, fcscj, a quant à elle expérimenté la démarche ESDAC (Exercices Spirituels pour un Discernement Apostolique en Commun) en 2018, lors du chapitre provincial puis général de sa congrégation.
Ce qui m’a attirée de prime abord, c’est la conversation à partir laquelle on s’écoute. On ne dit pas « moi je pense que » et les gens ne parlent pas les uns par-dessus les autres. J’ai vu des gens qui ne parlaient habituellement pas avoir leur droit de parole comme tout le monde et ce qu’ils disaient était important, même s’ils ne le croyaient pas. L’autre chose que j’aime bien, c’est que ça oblige les gens à synthétiser.
Voyant les résultats de la démarche ESDAC, Sr. Pinard n’a pas tardé à l’appliquer aux groupes qu’elle animait, avec des religieux et des laïcs. Dans l’un des groupes, divisé par un conflit, les résultats de la démarche ont été impressionnants.
On est arrivé à un résultat qui a surpris tout le monde. Les vraies choses se sont dites, les gens n’ont pas eu peur d’exprimer leur accord ou leur désaccord. On a pu repartir avec un cadre d’actions beaucoup plus clair pour notre travail. On savait vers quoi on allait ensemble.
Et en quoi l’ESDAC est différent des autres modes de conversations en équipe? Sr. Pinard pense que le secret de cette démarche, c’est vraiment l’idée qu’on s’écoute et qu’on peut parler en toute honnêteté et sécurité.
Le discernement en commun pour une œuvre religieuse
Donat Taddeo, aujourd’hui assistant du Président, planification et développement au Loyola High School et André Courchesne, directeur du camp Lac Simon, ont fait deux sessions de discernement en commun pour définir le rôle et les activités du Gesù, à Montréal.
« Ça nous a aidés à mieux cerner de quelle façon on allait de l’avant, alors que la situation est assez complexe », explique M. Taddeo. La complexité venait entre autres du fait que les gens impliqués, jésuites et laïcs, avaient des bagages différents. Comment aller chercher les meilleures idées de chacun d’une façon constructive? Selon M. Courchesne, le discernement permet de mieux comprendre les apports importants de chaque personne. « Petit ou grand, chaque participant qui dépose sa pierre participe à la construction du Royaume. »
Les participants ont eu des questions sur lesquelles réfléchir 48 heures à l’avance, ce qui cernait d’entrée de jeu la discussion. Lors du discernement, il y a eu trois étapes où chacun parlait à son tour. « Ce que j’ai trouvé intéressant, explique M. Taddeo, c’est le nombre réduit de participants, ce qui permet de mieux écouter et de voir comment ces mots sont reçus par les autres. Le rôle du président est essentiel, il s’assure que chacun suit les règles de l’exercice. L’élément spirituel, au sens large du mot, est aussi intéressant. Il y a une réflexion qui permet aux idées de naître. C’est étonnant de voir à quel point il y a une convergence qui s’établit autour de 2-3 questions. J’ai beaucoup aimé, alors que j’étais un peu sceptique. »
Courchesne a aussi beaucoup apprécié l’expérience.
Le discernement communautaire offre une merveilleuse occasion de communiquer ouvertement et franchement et de faire del’écoute active en prenant conscience de ce qui bouge en nous, sans ‘préparer une réponse’. L’approche nous permet d’ouvrir tout grand notre cœur pour recevoir la parole et la pensée de l’autre. L’attention soutenue de ce qui bouge en nous nous révèle l’Esprit qui, lentement, se manifeste.
Un exercice inspiré des premiers jésuites
Comme l’explique Sr Loubières, les jésuites eux-mêmes ont été fondés par une démarche de discernement.
Les premiers compagnons qui s’étaient rassemblés autour d’Ignace n’avaient pas vraiment d’idées au départ de ce qu’ils allaient faire. Ils étaient très différents, mais avaient tous vécu l’expérience des Exercices spirituels. À un moment, ils ont dû réfléchir à leur avenir et ont mis au point une forme de démarche pour vraiment écouter l’Esprit travailler, à travers cette expérience spirituelle forte qu’ils avaient vécue.
Si le discernement personnel aide depuis longtemps des personnes à faire des choix de vie ancrés dans une vocation profonde, le discernement en commun, lui, n’existe que depuis une trentaine d’années, mais a rapidement été adopté dans d’autres provinces jésuites.
Écoute, temps, format et approfondissement sont ainsi des avantages du discernement en commun par rapport à d’autres types de discussion d’équipe. Un moment pour se recentrer, bref, afin de mieux aller de l’avant.