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Fidèles à nos traditions, fidèles à nos racines : le parcours d’une sœur

Écoutez cette histoire :

Par Colleen Hogan

Dans notre monde fragmenté, il peut être difficile d’assumer des identités qui, vues de l’extérieur, semblent incompatibles, et de trouver des espaces où l’acceptation constitue la norme. Pour de nombreux catholiques autochtones, dont l’histoire a été marquée par la colonisation, le déni et le dénigrement, il est souvent difficile d’être catholique en contexte autochtone et autochtone en contexte catholique. 

Sœur Priscilla Solomon, membre ojibwée de la nation anichinabée et sœur de Saint-Joseph de Sault-Sainte-Marie, partage son expérience et son point de vue sur cette intersection complexe dans le cadre d’une entrevue vidéo, disponible en baladodiffusion. Son partage suscite la réflexion. Elle a passé des années à concilier ses identités autochtone et catholique. Sa mission, façonnée par son itinéraire, vise à promouvoir la réconciliation entre les peuples autochtones et l’Église. « Nous avons des dons à partager, dit-elle, et nous sommes appelés à vivre notre foi en nous inspirant de notre culture, de nos traditions et de nos spiritualités autochtones. » 

Pouvez-vous nous parler de votre enfance ojibwée et catholique ? 

J’ai grandi dans une très petite communauté isolée de la baie Georgienne. Nous parlions anglais, c’était la culture dominante, mais toute la ville était catholique et j’ai grandi en vivant fortement l’expérience de la communauté de foi catholique. 

Toutefois je savais que j’étais autochtone. La culture traditionnelle n’était pas cachée, elle s’exprimait plus discrètement. Ma Mère avait l’habitude de parler à ses amis autochtones en anishinaabemowin. Nous avions des tapis de foin d’odeur et nous connaissions les plantes médicinales. On nous a enseigné le respect des autres et l’honnêteté, mais ces valeurs traditionnelles ressemblent tellement aux valeurs chrétiennes que je n’y voyais pas des valeurs autochtones. 

Est-il arrivé que vous ressentiez des tensions entre vos identités ?  

Pendant mes premières années de vie religieuse, mon père a commencé à se réapproprier ses racines autochtones. Cela devenait difficile pour moi lorsque je rentrais à la maison pour les vacances. En effet, beaucoup d’Autochtones en colère contre l’Église et contre la société rendaient visite à mon père et je me sentais condamnée par leur ressentiment parce que je m’identifiais à l’Église. Il m’a fallu beaucoup de temps pour faire le tri de mes émotions et de mes sentiments; pour arriver à distinguer mon identité en tant que membre de ma famille et celle de la fidèle catholique que je suis et pour comprendre que je pouvais aimer ma famille même si elle était en colère contre l’Église, sans avoir l’impression d’être rejetée pour autant. 

À quand remontent cette exploration et cette réconciliation avec vos parents ? 

Priscilla Solomon (à droite) et sa soeur Eva Solomon, toutes deux membres des sœurs de Saint-Joseph, lors d’un rassemblement des Premières Nations au début des années 1990. Thunder Bay, Ontario. Photo : site web de Scarboro Missions

La réconciliation s’est produite quand j’étais au milieu de la vingtaine, mais ce n’est qu’au milieu de la trentaine que j’ai réalisé que j’avais besoin de connaître ma culture et de revendiquer mon identité de femme autochtone. Une expérience m’a permis de rapprocher mes deux identités, soit la première fois que je suis entrée dans une hutte de sudation. J’ai grandi avant Vatican II et je me posais beaucoup de questions sur la spiritualité autochtone en tant que jeune adulte. J’avais certaines appréhensions à l’idée d’y aller. Il y avait du tambour, des chants et du partage. Sauf pour le feu au centre, c’était l’obscurité totale dans la hutte. J’entendais des gens chanter et exprimer leur douleur, leur confusion, leurs interrogations, leurs espoirs ; ils partageaient profondément leur vécu et leur fragilité. 

J’ai eu très fortement l’impression de vivre quelque chose comme la réconciliation sacramentelle. J’ai pu participer au partage et je me suis sentie comprise et pardonné pour le mal que j’avais fait. J’ai également ressenti un lien profond avec les autres, dans leur souffrance et leur douleur. J’avais le sentiment d’avoir trouvé mon foyer spirituel. Que c’était ma place ! Ma foi catholique, ma conception de la réconciliation dans une juste relation avec Dieu et les autres ainsi que cette expérience de la hutte de sudation ne faisaient qu’un. 

Ma foi catholique, ma conception de la réconciliation dans une juste relation avec Dieu et les autres ainsi que cette expérience de la hutte de sudation ne faisaient qu’un. 

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Autochtones et à d’autres personnes qui peinent à harmoniser leur identité et leur foi ? 

Je commencerais par leur faire part de ma conviction que les peuples autochtones croient au Créateur ; que le Créateur les a créés ; qu’il leur a donné la vie.  Et que ce don est un cadeau non seulement pour eux, mais pour toute la création, et donc qu’ils ont un but dans la vie. 

Pour la tradition catholique, c’est la même chose. Dieu nous a créés pour la vie et nous a fait don de toutes sortes de talents pour nous-mêmes, mais aussi pour le bien du monde et pour rendre gloire à Dieu. Nous avons été placés ici par notre Créateur dans un but précis : il s’agit de discerner ce but et les dons qui nous aident à l’atteindre. 

Sœur Priscilla et d’autres sœurs de Saint-Joseph : unies dans leur diversité.

Connaissez-vous des moments de doute, de conflit ou de lutte lorsque vous naviguez entre vos deux identités ? Et comment les surmontez-vous ? 

Il y a certainement des moments de confusion, de doute et d’interrogation. Je suis une femme autochtone qui vit principalement en contexte non autochtone. Je me demande parfois si je vis vraiment en tant qu’Autochtone ? Est-ce que je vis ma propre tradition spirituelle aussi bien que ma tradition catholique ? 

Certains doutes naissent de la difficulté pour l’Église de comprendre le besoin de réconciliation et la nécessité d’établir des relations différentes non seulement avec les peuples autochtones, mais aussi avec d’autres personnes différentes. Cela est difficile tant pour l’institution que pour l’ensemble des croyants. 

Nous avons été placés ici par notre Créateur dans un but précis : il s’agit de discerner ce but et les dons qui nous aident à l’atteindre. 

Qu’est-ce qui vous retient dans une Église qui est aussi fortement remise en question ? 

Pour ma part, je crois que Dieu est vraiment présent dans l’Église et que l’Église est la façon pour Dieu de se rendre présent à nous, de nous nourrir et de nous appeler. Je reste dans l’Église parce que je crois qu’elle est un don de Dieu pour moi. Il y a dans l’Église d’autres êtres humains qui sont brisés comme moi. Nous sommes tous pécheurs, mais Dieu est là. Ce n’est pas la fragilité de l’élément humain qui me retient. C’est la fidélité de Dieu à notre endroit. 

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Quelle est la position des Jésuites face à la réconciliation et aux efforts d’autodétermination des peuples autochtones ? Peter Bisson, SJ, assistant provincial pour la justice, l’écologie et les relations avec les Autochtones, explique : « Dans la relation des jésuites avec les peuples autochtones, je vois surtout la dynamique de réconciliation. Toutefois, depuis la visite du pape, je commence aussi à percevoir au sein de l’Église certains aspects d’une autodétermination spirituelle qui s’articulent de manière intentionnelle. Les Jésuites soutiennent cette évolution. » C’est ainsi qu’en septembre 2023, un rassemblement a eu lieu près d’Ottawa qui a réuni des dirigeants autochtones catholiques et quelques alliés. Le père Bisson et sœur Salomon en étaient. Pour lui, « il s’agit vraiment de l’Esprit de Dieu qui reprend le travail accompli par le pape François et rassemble les peuples autochtones avec des alliés, des gens qui soutiennent le développement de la vie de foi des catholiques autochtones ». 

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