Isabelle Lemelin, nouvelle directrice du Centre justice et foi : « Je suis une croyante qui doute »

Isabelle Lemelin, après une candidature infructueuse pour un poste au Centre justice et foi l’année dernière, y a marqué les esprits. Son impression a été si forte qu’elle a été invitée, un peu plus tard, à poser sa candidature pour poste de directrice générale, un rôle qu’elle a pris à bras-le-corps depuis la mi-mai 2023.

Pourquoi travailler dans un centre ignatien ? Les communautés religieuses qui mettent au cœur de leur approche le discernement et le questionnement sont celles qui lui parlent le plus. « La dimension intellectuelle ne peut être évacuée, à mes yeux, d’une démarche spirituelle. » De plus, un centre ignatien met de l’avant la responsabilisation des individus : « Travailler pour une œuvre d’une organisation religieuse qui considère que Jésus est le sauveur des hommes, que Dieu est dans le monde, je pense que c’est un appel à l’action et à la responsabilisation de chacun et chacune. » « Je suis une croyante qui doute », ajoute-t-elle.

Le Centre, enrichi par le travail remarquable de personnalités telles qu’Élisabeth Garant, est un bâtisseur de ponts comme l’a souligné Jean-Claude Ravet. Mme Lemelin, avec sa formation et son expérience aux multiples facettes, perçoit le Centre comme une entité charnière au Québec, offrant non seulement une plateforme de réflexion profonde, mais aussi un conduit pour agir à la manière ignatienne vers un monde qui incarne la justice pour tous.

Un parcours de théorie, recherche et pratique

À l’instar de beaucoup d’autres, l’adolescence a été pour Isabelle Lemelin une période d’exploration, de maturation, mais aussi de remise en question de sa foi. « Alors, la littérature, le théâtre et ces autres formes d’art liées à la parole sont venus prendre le relais et ont fait en sorte que mon adolescence était plus dans la résistance et dans le questionnement rebelle d’une certaine façon, ce qui m’a amené à étudier en anthropologie, parce que les anthropologues sont généralement des marginaux.

« La dimension intellectuelle ne peut être évacuée, à mes yeux, d’une démarche spirituelle. »

Comme le disait le professeur Raymond Massé, “on est toujours le Papou de quelqu’un d’autre” ». Mme Lemelin l’a appris en théorie à l’Université Laval et en pratique dans ses voyages. « Avec des Kurdes de Turquie, c’était moi l’exotique quand je leur montrais sur la carte où était Chicoutimi. » Cette formation nourrit encore sa façon de voir le monde et probablement même de travailler, explique la directrice, et ce, bien qu’elle se soit détournée de l’anthropologie après sa maîtrise pendant laquelle elle a complété un certificat en science des religions. « Je me suis mis à potasser davantage ce qui se passait du côté du judaïsme et de l’islam, parce que mon aire culturelle de prédilection était le Moyen-Orient. Puis j’y suis allée une deuxième fois pour y préparer un doctorat, dont les données recueillies se sont perdues dans les limbes de la diplomatie canado-libanaise. »

Ainsi, de retour au Québec, Isabelle Lemelin a travaillé un temps à la Faculté de droit de l’Université McGill comme administratrice de la recherche, moment où elle a aussi fait, au HEC, une formation en gestion d’organismes culturels. Ce travail a renouvelé son intérêt pour la recherche. Boursière, elle est donc allée se « consacrer à la sagesse biblique, sous la supervision du grand exégète francophone qu’est Jean-Jacques Lavoie » en complétant un doctorat à l’UQÀM. Puis, elle a continué d’approfondir ses connaissances avec quatre postdoctorats, dont un au Maroc et un autre à Jérusalem.

Le travail au Centre justice et foi

C’est donc forte de son parcours de chercheure et de son expertise en gestion que Mme Lemelin est devenue directrice du Centre justice et foi au printemps 2023.

Travailler dans le seul centre d’analyse ignatien au Québec revient, selon elle, à jouer un rôle de médiation. « Le Centre justice et foi a toujours été unique en son genre, même à l’époque de sa création, où il y avait évidemment quelque chose de beaucoup plus uniforme dans le tissu social québécois. » Le Québec a évidemment changé, mais le travail de réflexion et d’action des débuts est encore là : « Évidemment, il y a des choses similaires qui se font dans les universités. Mais de faire le lien avec ce milieu et les milieux de la base et les milieux religieux, c’est unique au Centre justice et foi. » Ainsi, explique en souriant Mme Lemelin, la place du Centre est assez centrale au Québec.

« Le Centre justice et foi a toujours été unique en son genre. »

C’est dans ce contexte que s’inscrivent ses idées pour la suite du travail au Centre. « Par la force des choses, j’apporte de la nouveauté et je sais qu’il importe que je questionne les habitudes, les idées reçues, les façons de faire. Qu’on le veuille ou non, le centre est dans un tournant et pas seulement parce qu’il y a un changement de direction, mais parce qu’il y a des changements sociétaux majeurs, des questionnements quant à l’avenir, notamment en raison du vieillissement des communautés religieuses et du manque de relève. On ne peut donc que se questionner sur l’avenir, mais aussi sur ce qu’on peut faire avec notre héritage intellectuel. J’apporte une vision autre du simple fait de venir d’un autre milieu, avec un autre réseau, mais je suis aussi une “originale” pour ne pas dire une personne plutôt créative, ce qui, à mes yeux, est nécessaire pour faire ce que le comité de recrutement m’a demandé, à savoir un Centre 2.0. » Formée à la réflexion, à l’argumentation, au fait de vivre et d’interagir avec des personnes d’horizons divers, Mme Lemelin est ainsi idéalement positionnée pour faire le pont entre différents milieux dans la société, mais aussi au sein même du centre. « Comment on fait quand les gens présentent des profils aussi différents et qu’il faut quand même travailler de concert pour aller quelque part?  Ça prend du temps, de la patience, de l’écoute, du respect et un but commun plus grand que soi. »

Isabelle Lemelin souligne que le CJF reflète justement « quelque chose de l’âme du Québec, littéralement. » Comment fait-on pour travailler ensemble ? Il s’agit d’une question autant pour le Centre à l’interne que pour le monde en général. Les problèmes sont aujourd’hui bien trop complexes pour qu’on évite de se confronter. Il faut trouver des moyens de travailler ensemble, surtout dans la complexité.

Fêter ses 40 ans, tourné vers l’avenir

Le Centre justice et foi fête cette année ses 40 ans. « Ça en dit long sur la pertinence de ce centre d’analyse qui a toujours fait les choses, ou presque, à bout de bras. » D’une équipe presque entièrement jésuite à ses débuts, le centre ignatien compte toujours un chercheur associé jésuite et des jésuites sur le conseil d’administration, mais surtout une équipe de laïques qui apportent tous et toutes beaucoup en termes de réflexion. D’ailleurs, plusieurs activités visant à stimuler la tête et le cœur sont programmées dans le courant de l’année.

« Un des objectifs du centre est certes de faire de l’analyse, mais c’est pour que le monde s’améliore. »

Le Centre justice et foi, avec sa nouvelle directrice à la barre, continue donc d’assurer concrètement l’héritage ignatien dans le monde d’aujourd’hui. « La beauté de ce monde spirituel est à mes yeux le rappel de la vulnérabilité. Et moi, ma force, c’est ma vulnérabilité. Un des objectifs du centre est certes de faire de l’analyse, mais c’est pour que le monde s’améliore, pour qu’il soit un endroit plus accueillant et plus juste, pour tous, toutes et toustes, ce qui implique d’écouter des voix qu’on entend peu et de les rendre audibles. L’impulsion, la mission ou la contribution ignatienne à un centre comme le nôtre, c’est justement cela. »

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