Cet été, Mer et Monde souligne deux événements importants. D’abord, son 20e anniversaire, âge vénérable pour un organisme de solidarité internationale. Le 14 juin dernier, cet anniversaire s’est fêté non seulement avec l’équipe d’aujourd’hui, mais aussi des stagiaires et employé(e)s d’il y a 15 ans ou plus, montrant les liens qui restent fort même après plusieurs années. Ensuite, Mer et Monde a salué le travail de Mireille Chilloux, qui prend sa retraite et quitte son poste de directrice générale qu’elle occupait depuis les 14 dernières années.
Cette dernière nous a accordé une entrevue pour revenir sur le développement de Mer et Monde, mais aussi sur son avenir. Elle revient sur ce qui fait le succès de l’organisation – les liens et les apprentissages bidirectionnels entre stagiaires et partenaires locaux qui reposent sur la devise «Être avec pour agir ensemble» – ainsi que sur les développements futurs de l’organisme dans le Canada anglais et avec des communautés autochtones.
D’hier à aujourd’hui
Ce qui fait la force de Mer et Monde? D’abord, le fait que l’organisation a su rester fidèle à l’idée créatrice de Michel Corbeil, SJ, malgré sa croissance. «La construction de base est là, mais c’est sûr qu’on a changé les murs, c’est sûr qu’on a changé la décoration.», de dire Mme Chilloux. Le succès de l’organisation repose aussi sur le souci de bien faire les choses. Bien faire les choses inclut le respect, ici et sur le terrain, fidèle à la devise «Être avec pour agir ensemble».
Cette devise s’incarne par l’écoute des besoins des partenaires. Pour Carmen Martinez, coordonnatrice de l’Association Tierra y Vida au Nicaragua, c’est ce qui fait la force de l’organisme.
La coopération internationale devrait être ainsi: les ONG devraient arriver dans le pays, vérifier quels sont les objectifs et la mission de l’organisation locale et ensuite s’insérer dans cette réalité. Cette sensibilité est précieuse pour nous. Mer et Monde n’est pas comme n’importe quelle organisation qui exécute un projet et qui s’en va: Mer et Monde apporte un processus de travail.
Ce respect et ce souci du détail se concrétisent d’ailleurs dans tout le processus de stage qui repose sur une solide formation des stagiaires. Cette formation les incite à développer leur discernement et leur sens critique, ce qui fait toute la différence sur le terrain. Les volets de cette formation incluent entre autres la connaissance de soi, la dynamique de groupe et la vie communautaire, la communication interculturelle, les connaissances du pays d’accueil, la solidarité internationale et les enjeux de la mondialisation. «Je dis toujours que Mer et Monde a deux grandes forces reconnues: la formation, mais aussi l’équipe terrain., explique Mme Chilloux. Quand les stagiaires arrivent sur le terrain, ils sont bien encadrés et formés, garantissant leur réflexion et le respect. »
Mais aussi, le succès de Mer et Monde, a répété Mme Chilloux tout au long de l’entrevue, repose sur le travail d’équipe, la conviction de tous les acteurs impliqués de travailler ensemble contre l’injustice.
Il faut souligner comme on est chanceux d’avoir la participation de tous. Si on prend tous les gens qui travaillent autour de Mer et Monde c’est énorme: nos partenaires locaux rendent possible ce qu’on fait, toutes les familles qui accueillent les stagiaires. C’est extraordinaire de voir la bonté de ceux qui accueillent les stagiaires. Nos partenaires du Nord (écoles, jésuites, ministères…). C’est comme un puzzle où tu les mets tous et si tu en enlèves un morceau ça ne fonctionne pas.
L’organisation a eu et a encore plusieurs défis à relever. Ici, il faut toujours réussir à obtenir du financement et faire avec les coupes gouvernementales. Dans les pays partenaires, il a fallu s’adapter aux coups d’État, à des tensions socio-politiques, et à des éclosions d’épidémies. Un élément clé pour passer au travers de ces obstacles a été le souci de la diversification, depuis les stages avec les écoles et les universités, jusqu’aux stages des 50 ans et plus, ou des jeunes professionnels. La rigueur des participants a été de plus en plus reconnue au fil du temps, attirant visibilité et reconnaissance. Mais aussi, l’équipe est en perpétuelle réflexion pour savoir comment enrichir son offre et ne pas rester dans un seul créneau.
Et pour les prochains 20 ans? Fidèle à ce qui fait son succès, Mer et Monde projette de continuer à se diversifier. Elle commence à mettre sur pied des programmes de développement qui ne nécessitent pas de stagiaires grâce au soutien de bailleurs de fonds, dont le Ministère des relations internationales et de la Francophonie du Québec. Par exemple, Mer et Monde est partenaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour un projet d’agriculture au Sénégal. Sur cinq ans, l’organisme souhaite aussi ouvrir deux voies dans lesquelles elle veut travailler avec la Compagnie de Jésus, dont elle est une œuvre associée. D’abord Mer et Monde veut s’engager davantage avec les Autochtones. Cet axe est présent depuis la création de Mer et Monde, mais le récent pèlerinage en canot a solidifié la conviction qu’il s’agit d’un projet important. Ensuite, l’organisme ayant un statut fédéral, veut développer le côté anglophone du Canada et mettre sur pied des stages dans un pays anglophone. Pourquoi cette diversification? « On fait bien les choses, de répondre Mme Chilloux, pourquoi ne pas aller vers des populations différentes ? » Ayant appris des 20 dernières années, cette diversification répond également au besoin de se solidifier.
Une collaboration dans les deux sens
Mer et Monde rejoint des jeunes et des moins jeunes de toute la province pour ces stages de solidarité internationale. Par exemple, à l’Université Laval seulement, 14 facultés y participent, permettant à des étudiant(e)s en nutrition, en droit, en médecine ou en agronomie de vivre cette expérience. Mais pourquoi des gens, surtout des jeunes, décident d’aller en stage à la rencontre de l’Autre? Selon Mme Chilloux, c’est par besoin d’être déstabilisé et parce qu’on a toujours besoin de rencontre.
Il y a 15 ans, pour les stagiaires, c’était leur première expérience à l’étranger. Ce n’est plus le cas maintenant. On voyage beaucoup, mais «vivre avec» la population est une fibre à développer. Pour les stagiaires, c’est l’occasion de se faire confiance, de gagner une estime d’eux-mêmes.
Ce type de stage permet en effet aux stagiaires de travailler beaucoup sur eux-mêmes, d’être confrontés dans leurs croyances, de redécouvrir leurs valeurs fondamentales: moins «avoir» et plus «famille». Pour les plus de 50 ans, ils redécouvrent souvent les valeurs d’antan de partage et de famille.
Gabrielle Laprise, une ancienne stagiaire au Sénégal, explique cet apprentissage.
On m’avait prévenu: le stage académique en soi n’est qu’un prétexte pour aller à la rencontre de l’Autre. Ce que ce séjour de trois mois au Sénégal m’a apporté dépasse le strict constat; ce sont des valeurs sincères d’accueil, de respect, de partage, d’entraide, de communauté et de tolérance. C’est la famille, le moment présent, la simplicité.
Ce qu’on cherche finalement à Mer et Monde? Le stage est en fait un prétexte qui permet d’éveiller les consciences, la fibre de justice sociale. Et surtout, quand les stagiaires rentrent chez eux, ils cherchent à voir ce qu’ils vont faire de leur expérience. Face aux problèmes au Québec d’aujourd’hui, ces stagiaires peuvent poser des gestes concrets et participer avec d’autres à faire bouger les choses. «Tu ne peux pas changer le monde, mais tu peux être actrice ou acteur de changement au Québec», de dire Mme Chilloux.
Les partenaires dans les pays du Sud retirent aussi beaucoup de cette collaboration. L’action concertée des stagiaires et des partenaires permet le soutien des projets de petites organisations qui n’y auraient autrement pas accès. Codou Mbaye, membre du Groupement villageois de Notto-Diobass, au Sénégal, explique d’autres impacts positifs de cette collaboration .
Le partenariat avec Mer et Monde a permis de renforcer la collaboration entre les différentes personnes du village (jeunes, vieux, femmes et hommes), d’améliorer la structure de fonctionnement du groupement et de pouvoir compter sur un partage d’expériences mutuelles.
Les liens et le fait d’en sortir grandi sont donc réciproques. Lors de son premier stage au Sénégal, Mireille Chilloux avait remercié sa famille d’accueil pour leur sens de l’accueil: ils avaient par exemple été acheter une bouteille de boisson gazeuse alors qu’elle n’avait que demandé par curiosité s’ils en buvaient parfois. Le père d’accueil de Mireille Chilloux l’avait pour sa part remercié pour la dignité, le sens d’être égal que sa présence leur avait apporté.
Mireille Chilloux
Si le succès de Mer et Monde repose sur le travail d’équipe, il reste que le travail de Mireille Chilloux a permis à l’organisation de se développer. On le soulignait récemment dans un article, son travail de directrice est avant tout un travail humain. «Si on a des relations positives, on peut tout faire», explique-t-elle. Soucieuse de développer l’autonomie de chacune des personnes composant son équipe, elle a su instaurer un climat de confiance qui participe lui aussi au développement de l’organisation.
Directrice générale de Mer et Monde depuis 14 ans, Mme Chilloux s’intéresse aux projets internationaux depuis bien plus longtemps. En effet, elle était auparavant animatrice de pastorale et ensuite animatrice de vie spirituelle et communautaire dans une école où elle avait mis en place un projet de solidarité. C’est en 2003 qu’elle tomba par hasard sur un dépliant de Mer et Monde, juste avant d’aller donner une conférence à Dakar. Elle appela alors Michel Corbeil pour se mettre en contact avec les partenaires de Mer et Monde. Et ça clique. En mars 2005, le P. Corbeil lui proposa le poste de directrice générale. Après mûre réflexion et discernement (et en refusant 4 autres postes qui lui étaient aussi proposés!), Mme Chilloux accepta. Son défi? Développer l’organisme. Comme elle était connue dans le milieu de l’éducation et connaissait les acteurs des écoles de la province, elle a pu réaliser ce développement qui se poursuit encore aujourd’hui et nous en sommes convaincus, demain aussi.