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Histoires

Pourquoi entrer dans la Compagnie de Jésus ? Pourquoi devenir un frère jésuite et non un prêtre ? Y a-t-il un rôle pour les laïcs dans la formation jésuite ? Après avoir publié deux articles sur la formation des jésuites – le premier sur la réforme de cette formation et le second sur les étapes à franchir – il manquait à cette série de témoignages personnels sur l’apprentissage, les difficultés et les joies de ce long parcours. Fr. Daniel Leckman, SJ, le plus jeune des frères jésuites canadiens, a accepté de revenir sur ses premières années de formation, son apostolat comme directeur spirituel et son espoir pour la formation des nouveaux jésuites.

Quel était votre désir avant d’entrer chez les Jésuites ?

Je pense que c’était plutôt d’être quelqu’un dans le monde qui n’a pas peur d’aller où il y avait les plus grands problèmes, le plus de manque d’attention dans le monde (pauvres, étudiants endettés, réfugiés). J’avais cette image de pouvoir aider les gens le plus possible, de vraiment servir.

photo: Moussa Faddoul

Être jésuite m’a-t-il permis de répondre à cet appel? Oui et non. Je ne suis pas un grand voyageur, je n’ai pas un grand sens de l’aventure, je suis une personne qui est un homebody (casanier): j’aime être chez moi, proche de ma famille, proche de ceux que j’aime. Je n’ai pas vraiment le courage d’aller dans d’autres pays. L’environnement où il y a eu le plus grand défi pour moi c’est à «Wiki», sur l’île Manitoulin au nord de l’Ontario. J’y ai vécu seulement quatre mois, mais ces quatre mois ont été quand même difficile, car on était une petite communauté où chaque décès était un trou communauté, et j’ai assisté à environ vingt funérailles. Mais pour moi la grâce c’était de découvrir, même environnement difficile, une façon de vivre ma vocation avec les enfants et les aînés, deux groupes de gens à qui ça ne dérangeait pas que je n’étais pas Autochtone. Tout ce qu’ils voyaient, c’est mon humanité. Pour moi, c’était la plus celle expression de ce désir.

Le reste de ma vocation jusqu’à maintenant c’est surtout comme directeur spirituel. Un directeur spirituel ne voyage pas beaucoup, donc non je ne vis pas ce désir… mais en même temps je le vis, parce que j’aide beaucoup de gens. Et je dois avouer que les gens m’aident encore plus que moi je les aide, alors je me sens un peu choyée. Ma décision d’être jésuite était un sacrifice dans un certain sens, mais en même temps ça ne parait pas dans la manière dont je vis.

Comment votre parcours, votre formation, vous permet-elle d’être au service des autres? 

Mes parents, même s’ils ne sont pas religieux, ont été élevés dans la foi. Ils ont un respect énorme pour l’aspect justice sociale de la foi catholique. C’est comme cela qu’ils nous ont élevé mes frères et moi. La formation jésuite s’est ajoutée à celle de mes parents. Comme frère je n’étais pas vraiment obligé de faire 12 ans d’études comme certains de mes collègues. Et je ne voulais vraiment pas le faire: c’est une des raisons pour lesquelles je suis devenu frère. Éventuellement, j’ai trouvé des raisons plus positives d’être frère, mais au début c’était vraiment à cause des études. J’avais déjà deux bacs de McGill et un Master Certificate de l’Université Concordia, alors j’en avais fini avec les études!

Mais c’est bizarre parce que la plus grande formation que j’ai eue, c’était comme directeur spirituel à Guelph. Là, j’ai vraiment réalisé combien j’avais encore à apprendre et c’est cela qui m’a donné le goût de retourner aux études. J’avais besoin d’aller travailler dans le monde jésuite pour comprendre mes lacunes, même si je suis un très bon directeur. J’ai commencé à considérer la possibilité d’aller faire des études au Centre Sèvres à Paris ou bien aux États-Unis.

Sinon je dois avouer que ma formation en tant que novice était extraordinaire, car tous les jours on explorait différents aspects des Constitutions ou des documents sur des vœux ou bien on travaillait dans notre apostolat. C’était une très belle opportunité de grandir un peu en tant que jésuite.

Même durant mes premières études, que j’ai faites à contrecœur, mon maître novice m’a rappelé que parce que je n’avais pas beaucoup de background professionnel, que j’avais besoin de me diversifier un petit peu avec des études en théologie. J’aurais préféré rester une autre année sur l’île Manitoulin, car ça me brisait le cœur de quitter les gens, mais c’est ça être jésuite: on crée des attachements, mais il faut répondre aux besoins de la Compagnie et la Compagnie veut que frères et les scolastiques soient formés en théologie. Ça a été une très belle expérience, mais c’est sûr que je ne suis pas un académique de nature. Je continue donc ma formation au niveau personnel (qu’est-ce que je dis, qui j’écoute), mais aussi d’autres études.

Quelle est selon vous la différence entre votre formation de frère et celle des futurs prêtres jésuites ? 

Les frères n’ont pas vraiment besoin de faire des études. S’ils en font, c’est par leur propre choix. Historiquement, Ignace de Loyola ne voulait pas que les frères étudient parce que c’était trop dispendieux. Depuis Vatican II, ça a vraiment changé. Il y a eu une ouverture et une réalisation que les frères étaient un peu marginalisés, alors ils ont eu l’opportunité de suivre leur désir au lieu de se voir assigner une tâche comme cuisinier ou plombier. La majorité des vieux frères au Canada, c’est cela qu’ils ont fait: ils ont bâti les écoles et les maisons où nous habitons. Aujourd’hui, je suis le seul frère canadien jeune, mais aux États-Unis il y en a plus : un fait des études en écriture, l’autre est astrophysicien à Rome, d’autres sont dans le domaine de la justice. Dans le fond il n’y a pas vraiment de différence entre frère et père jésuite sauf que les frères ne peuvent pas célébrer les sacrements.

Dans quels apostolats avez-vous œuvré durant votre formation? Quels enseignements en avez-vous retirés? 

J’ai travaillé un peu avec Élisabeth Garant au Centre Justice et foi. C’est un travail que j’aimais beaucoup: je faisais des recherches pour voir comment les changements climatiques ont eu un impact sur les civilisations dans le monde. Les résultats de cette recherche furent ensuite présentés à une conférence à laquelle plusieurs paroisses et communautés religieuses étaient présents. J’ai beaucoup aimé ce travail, mais c’est dans le travail de directeur spirituel que je suis le plus ému. On voit du monde qui viennent à nous avec le cœur brisé, qui ont besoin d’attention et qui ont besoin de se rappeler c’est comment être aimé profondément par Dieu.

Comme je suis une personne à qui les larmes viennent très facilement, il m’arrive parfois en session d’être ému aux larmes. C’est peut-être pour cela que même si j’ai déjà voulu être psychologue, on m’a dit que ce travail pourrait être épuisant, car je suis trop émotif et trop facilement attaché aux autres. Mais les émotions sont quand même très fortes en tant que directeur spirituel. Je me compare beaucoup aux autres et je me dis que je ne suis pas aussi académique ou aussi intelligent que tel et tel jésuite, mais dans ma vie de prière, j’ai vraiment entendu le Seigneur me dire: « non tu ne l’es pas, mais tu as un des plus grands cœurs de toutes les personnes que tu vas rencontrer, il n’y a aucun jésuite qui peut se mesurer à toi dans ce domaine-là, vis cette émotion.» C’est cela que j’amène dans mes sessions de direction spirituelle. Et même quand je sens que je n’ai pas connecté avec les gens, les évaluations disent que oui. Ça me surprend toujours. C’est cela la plus grande chose qu’on peut leur amener.

Quel a été le moment le plus difficile de votre formation? Le plus marquant?

C’était la régence. On m’a envoyé à la Villa Saint-Martin et on voulait que je sois un peu directeur spirituel, que je fasse un peu de travail sur les retraites, mais j’étais surtout là pour aider à faire du réseautage, pour être une personne marketing, ce qui n’était vraiment pas mon background. C’était difficile en partie à cause de cela et en partie à cause du fait que je priais, mangeais, habitais et travaillais à la même place. Peut-être que d’autres pourraient bien s’adapter à cela, mais ça m’a rendu un petit peu fou. J’ai presque quitté ma vocation à cause de cette expérience. Ma relation avec le père supérieur n’était pas très bonne non plus, un peu à cause de nos différences de personnalité, mais il y avait tellement de choses qui n’allaient pas.

C’est pour cela qu’on m’a envoyé à Guelph, on avait besoin que je sois dans un environnement où j’étais plus supporté et où j’allais plus apprendre et c’est exactement cela qui est arrivé. Après deux semaines ici à Guelph j’ai trouvé la guérison. Je rencontrais le psychologue sur la propriété, je travaillais comme directeur spirituel et je me sentais apprécié, j’ai mieux aimé cela. j’ai retrouvé les raisons pour lesquelles j’avais décidé d’être jésuite. Ce que j’ai appris, c’est que quand on vit des défis dans la Compagnie, on doit vraiment les nommer clairement et il faut bénéficier de l’aide qui est là le plus possible. J’aurais pu me tourner vers ceux qui étaient là pour m’aider un peu plus.

Mon moment le plus significatif c’est à Guelph, mais je ne peux pas donner un moment précis. Il n’y a pas eu une retraite qui ne m’a pas aidé spirituellement, personnellement, émotivement. J’ai la chance de rencontrer des personnes différentes en âge et en foi. Même si on ne croit pas aux mêmes choses, on a tellement les mêmes valeurs de cœur et d’esprit que ça m’inspire beaucoup. De voir que les murs qu’on met entre nous c’est tellement inutile, on est plus unis qu’on peut le croire, ça m’émeut beaucoup.

Quel est votre espoir pour les autres jésuites en formation ?

Pour moi le plus grand problème qu’on a dans l’église c’est le cléricalisme, l’attitude de certains prêtres qui se croient au centre de leur église et de leur paroisse. Mon plus grand espoir, c’est que nos scolastiques et nos jeunes prêtres puissent apprendre à vraiment comprendre l’importance des personnes laïques et des frères et des sœurs dans l’Église. Ils doivent comprendre que leur mission dépend des autres, pour s’assurer que cette mission soit accomplie. Je souhaite que mes confrères puissent apprendre à dépendre des laïcs, des autres religieux et même des autres chrétiens. S’il y a une mission de justice, on va avoir besoin de l’aide de tout le monde. Notre identité jésuite n’est pas juste dans notre petite bulle catholique. C’est mon désir aussi d’être dans le monde et qu’on puisse travailler ensemble à bâtir un monde meilleur vu par l’œil de la foi.

Aussi, avec la crise des abus sexuels dans l’Église, il faut qu’on parle du rôle des laïcs dans notre église et de nos obligations envers eux. Ce que j’observe, c’est que nous les jésuites on agit sans penser comment nos actions ont un impact sur les laïcs dans notre monde. Mon désir c’est que des laïcs donnent une formation aux jésuites sur nos relations avec eux et l’impact des jésuites sur eux. Par exemple, il faut demander laïcs comment ils comprennent notre célibat, parce que la manière dont on le vit va avoir un impact sur les autres.

Comment Dieu était-il au cœur de cette formation?

Pour moi ma propre présence de Dieu est que tout ce que je vis et apprend, je le ramène à Dieu. Il est celui qui dit : « as-tu vraiment compris l’importance de cette phrase, de cette personne, de ce livre pour toi? As-tu vraiment été capable de voir cela? » Dieu est un formateur dans le sens que tout ce que je vis je le ramène à lui/elle.

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