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Histoires

Gilles Routhier

Gilles Routhier, professeur titulaire à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval et ordonné au service de l’Église de Québec, est un expert en études religieuses. Il est spécialiste du concile Vatican II, de son histoire, de son enseignement et de sa réception au Canada. Il est également supérieur général du Séminaire de Québec.

Dans cet article de notre série à propos de la valeur des jésuites dans le contexte d’aujourd’hui, le professeur Routhier explique la place du catholicisme au Québec au XXIe siècle. Selon lui, si une figure du catholicisme est en train de s’effacer, l’Église catholique elle-même n’est pas en train de disparaître au Québec, mais elle est mise au défi de s’actualiser.

Si l’article porte sur le Québec, les propos de M. Routhier s’appliquent également à d’autres contextes dans le reste du pays. Les jésuites peuvent offrir et être un « signe » qu’il est possible de vivre autrement, et ce, d’un océan à l’autre.

Quelle est la place de la religion catholique aujourd’hui au Québec ? Est-elle en train de s’effacer ?

La place de la religion catholique au Québec a sensiblement évolué. Et ce n’est pas simplement (comme cela peut sembler après une observation superficielle) en termes de déclin ou d’effacement qu’il faut lire la situation. Je crois que c’est plutôt une figure du catholicisme qui est en train de disparaître. Et cette figure, dans sa forme la plus achevée, était relativement récente, soit le siècle qui va, globalement, de 1840 à 1945.

Ainsi, ce sont des figures du catholicisme qui passent ; et si l’une est en déclin ou en effacement, ça ne veut pas dire que c’est le catholicisme qui disparaît. L’Église a une certaine continuité à travers ces figures, ces formes ou ces actualisations. Et c’est ça l’une de ses formes, épuisée, qui se modifie de manière importante aujourd’hui.

Cette figure actualisée de l’Église répond-elle aux besoins des Québécois ?

Derrière votre question, il y a une conception qu’une religion doit répondre aux besoins d’une personne. On est alors davantage dans une logique de marché. Tout cela n’est pas faux, mais on est dans une vision assez utilitariste de la religion et moi, je pense que l’apport ou la contribution de l’Église peut être plus importante.

En effet, les fonctions qu’on avait attribuées à l’Église catholique ou au catholicisme au Québec s’effacent l’une après l’autre. Protéger la nation était une des fonctions qui s’est le plus rapidement effacée à partir du moment où le gouvernement a pris en charge la culture et l’identité. Suivant l’adage « la foi gardienne de la langue », l’Église avait été l’institution qui pouvait protéger les Canadiens français. Désormais, le gouvernement s’en charge. Et c’est la même chose à partir du moment où l’État québécois a décidé d’investir dans l’éducation, les services de santé et les services sociaux, l’Église n’est plus utile comme pourvoyeuse de ce type de service. On a voulu justifier l’utilité sociale de l’Église en invoquant le fait qu’elle assurait aux citoyens des rites de passage essentiels : baptême, mariage, funérailles, etc. Mais aujourd’hui, les fêtes de naissance ont remplacé les baptêmes, les mariages sont célébrés sur la plage ou au bord de la piscine aussi bien qu’à l’église et les rites funéraires se sont sécularisés. Du coup, une troisième utilité de l’Église disparaissait. On s’est alors replié sur les besoins spirituels ou le confort spirituel, mais à partir du moment où on va trouver ça ailleurs, l’Église a été confrontée à sa quatrième inutilité. On a pensé alors que l’Église demeurait utile, car elle mettait en avant de belles valeurs humaines. Mais a-t-on vraiment besoin de l’Église pour assurer le développement de valeurs humaines, quand d’autres s’en chargent. On croyait alors s’en tirer en pensant, qu’au moins, l’Église garantissait la charité, la solidarité sociale et l’entraide au moment du désengagement de l’État, mais d’autres OBLN peuvent répondre à cela : autre inutilité. Récemment, on a dit que toutes ces formes d’utilité sociale appartenaient au passé, on a cru que (à défaut d’avoir des châteaux !), la patrimonialisation du christianisme allait constituer notre rédemption à la condition, comme le crucifix à l’Assemblée nationale, de vider de sa signification religieuse, tous ces édifices que nous admirons et protégeons comme biens patrimoniaux.

J’en suis à penser que cette recherche d’utilité nous mène à une impasse et, à mon avis, passe un peu à côté de l’essentiel.

Alors, est-ce que l’église aujourd’hui offre plutôt une communauté ?

On est beaucoup actuellement à la recherche du confort spirituel, notamment en temps de pandémie. À défaut de se payer une thérapie, on peut prendre une bière ou on peut aller à la messe. Mais ce confort spirituel n’est probablement pas ce qu’on a de meilleur à offrir.

Que peut donc offrir l’Église ? Je vais procéder à partir d’une analogie, qui a évidemment des limites. Vous avez peut-être vu le film Des hommes et des dieux ? C’est à propos de moines trappistes qui habitaient en Algérie, ou l’Islam sunnite est la religion d’État. Les moines ne pouvaient pas annoncer explicitement l’Évangile parce que c’était interdit et ils ne pouvaient donc pas espérer de conversion, ce qui est également proscrit. Pourquoi alors y restaient-ils ? Ils ont dû se poser radicalement cette question et on peut se poser au Québec radicalement la même question.

Des hommes et des dieux , 2011

Pourquoi des jésuites au Québec ? Ce n’est pas interdit par la loi de devenir chrétien. La réponse qu’ont donnée les moines d’Algérie est qu’ils restaient là pour offrir un signe de réconciliation et être un signe d’un vivre ensemble possible. Au milieu de cette population, ils offraient le signe d’une amitié sociale et de la possibilité de construire un monde où il y a des rencontres possibles. Ils donnaient également un signe de la priorité de l’adoration de Dieu. Rien que ça ! Il y a dans la société quelque chose qui est offert, et qui est offert à tous. Et prennent ce que veulent ceux qui sont là. Par exemple, aller à la messe, ce n’est pas pour soi, ce n’est pas parce que ça m’apporte quelque chose personnellement, mais c’est pour faire signe de la priorité de l’adoration de Dieu dans la société et de la fraternité, dans la communion au même pain.

Frédéric Barriault, du Centre justice et foi, a récemment proposé que l’Église devrait redécouvrir l’héritage prophétique des militants sociaux catholiques engagés dans les luttes ouvrières, féministes, écologiques et décoloniales. Est-ce là à votre avis une voie d’avenir pour le catholicisme au Québec ?

Est-ce qu’il s’agit simplement de parler d’écologie, de justice sociale, etc., ou faut-il proposer quelque chose ? C’est pour cela que je disais plus tôt qu’il faut offrir un signe d’une alternative, en somme offrir un signe du Royaume qui vient. Nous sommes convoqués et appelés, comme personne et comme groupe humain, à autre chose que ce qui nous est simplement proposé par la société, la culture et l’économie. Il y a une possibilité de vivre humainement, autrement que ce que nous proposent toutes les modes et la publicité, qui s’est manifestée dans la vie de l’Église. Si on ne fait qu’en parler, c’est un grand malheur. Il faut offrir une bonne réalisation, offrir un signe, notamment en termes d’écologie et de justice. Il faut arriver à montrer dans la société que l’Évangile nous convoque à une autre manière de vivre.

En un sens, il faut chercher à créer des ponts entre l’Église catholique et la modernité. Toutefois, on n’est pas simplement dans la création de ponts, mais on met au défi cette société moderne. On n’essaie pas de la rattraper simplement et d’être à sa remorque, mais positivement nous sommes des acteurs capables de présenter quelque chose d’autre au monde. Et il ne s’agit pas simplement d’en parler, mais d’avoir dans un mode de vie, une proposition de quelque chose qui n’appartient pas simplement à cette société, mais appartenant à la société de Jésus.

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