« J’allais essayer: tout est impossible jusqu’à ce qu’on essaie.»Le parcours de William Mbilinyi, SJ, depuis sa Tanzanie natale jusqu’à ses premiers voeux à la Villa Saint-Martin, est rempli d’actes de foi… et de grands éclats de rire.
Arrivé au Canada en 2015 pour entamer une maîtrise en théologie, rien ne le prédisposait à entrer dans la Compagnie de Jésus, au contraire! Et pourtant, il vient de prononcer ses premiers voeux est maintenant scolastique.
J’ai atterri au Canada en juillet 2015: c’était la première fois que je venais en Amérique du Nord. Ce fut un défi pour moi et pour ma famille. Je ne connaissais rien de cet endroit, je venais juste pour poursuivre mes études. Pour l’homme, c’était difficile, mais pour Dieu, c’était possible. J’ai pris cela comme un défi et ce fut un moment de croissance pour moi. Je savais que le fait que Dieu était avec moi ferait en sorte que les choses allaient s’arranger.
Avais-tu déjà une vocation pour la prêtrise en Tanzanie?
C’est ma famille qui a été l’instigatrice de ma vocation, mais je ne pensais pas que j’allais être prêtre. Ma mère nous a formés à être ouverts au service de l’Église. Nous nettoyions l’église le dimanche, j’étais servant d’autel… Même à la maison, nous priions beaucoup. Je n’aimais pas ça, parfois je faisais semblant d’être malade pour l’éviter!
Dans mon pays, la plupart des écoles privées appartiennent à des ordres religieux. J’ai donc toujours reçu une éducation chez des missionnaires, ce qui m’a rapproché de l’Église. Mais je n’ai pas pensé à devenir prêtre: je voulais travailler comme laïc près de l’Église, en enseignant. J’avais une bonne connexion avec le pasteur de ma paroisse, c’est ainsi que j’ai obtenu le parrainage pour venir ici au Canada, à l’Université de Toronto. Avec une maîtrise en théologie, je pouvais mieux me qualifier pour un poste de professeur chez moi.
Connaissais-tu déjà les jésuites avant d’arriver au Canada?
Dans mon pays, les jésuites ne sont pas très connus, ce ne sont pas les premiers missionnaires à être arrivés avec les colonisateurs et je n’ai pas fait mes études dans leurs écoles. Je ne savais rien des jésuites avant de venir ici, sauf trois idées négatives.
Je pensais que les jésuites avaient un aspect militaire, basé sur le passé de leur fondateur, Ignace de Loyola, un ancien soldat. Il y a des éléments militaires dans la Compagnie de Jésus (ex. : un Supérieur général). J’avais des problèmes avec les questions militaires, je me tenais donc éloigné de ce genre d’organisation.
Les jésuites sont connus pour être des intellectuels, je pense que tous les jésuites écrivent des livres! [n.d.l.a: j’attends celui de William]. Je ne suis pas moi-même un intellectuel, donc je pensais que je n’avais pas ma place dans cette organisation.
La dernière chose, c’est la formation des jésuites : c’est la plus longue formation jamais vue! Vous êtes toujours en formation jusqu’à votre mort. Cela m’a tenu éloigné d’eux.
Alors, comment es-tu finalement entré chez les Jésuites du Canada?
L’école de théologie de Toronto compte 7 collèges, dont le Regis College, qui est jésuite. J’y ai rencontré des scolastiques et des prêtres jésuites. Nous nous rencontrions en classe, après la classe, parfois à la chapelle pour la messe.
J’ai commencé à leur poser des questions, à corriger la perception que j’avais des jésuites. Un jour, on m’a invité à la communauté jésuite, pour la messe et le souper. J’ai dit non, j’avais peur. Ils ont continué à insister, alors j’ai accepté. Les jésuites m’ont très bien accueilli. Cela a éveillé mon intérêt pour eux. J’ai commencé à poser plus de questions, à interagir davantage avec les prêtres jésuites.
Au bout d’un moment, ils m’ont demandé de rencontrer le directeur des vocations. Nous avons eu une courte conversation et il m’a donné quelques livres à lire et des informations. Ce sont certaines phrases de ces livres qui ont attiré mon attention.
Par exemple: trouver Dieu en toute chose. C’était déroutant, comment peut-on trouver Dieu en toute chose? Aussi, avec le charisme jésuite, personne n’est laissé de côté: même si vous n’êtes pas doué pour les études ou pour donner des retraites, il y aura quelque chose pour vous.
J’étais ouvert à l’idée d’essayer, comme j’ai essayé de venir ici au Canada. On m’a alors demandé de venir à Montréal pour une fin de semaine «Venez et voyez», c’était en novembre 2018. Je suis venu ici à Montréal pour la première fois, à la Villa Saint-Martin. C’était vraiment intéressant, je me sentais heureux. Nous avons rencontré le maître des novices, la communauté. Nous avons appris à connaître le noviciat.
À mon retour, j’ai donné mes commentaires au directeur des vocations, mais il n’était pas encore sûr de s’intéresser à moi. «Prenez votre temps et priez», m’a-t-il dit, «suivez l’Esprit».
C’était une chose nouvelle pour moi. Il y avait une liberté, il n’essayait pas de me forcer.
Il me restait alors 4 cours à terminer pour finir mes études, et je pensais retourner dans mon pays pour travailler comme professeur. J’ai prié pour cela, pour les jésuites, pendant un mois. L’Esprit m’appelait à rejoindre les jésuites et à devenir missionnaire. En étant jésuite de la province canadienne, j’appartiendrais aussi à toute la Compagnie, je pourrais alors aller travailler dans mon pays comme missionnaire. Avec cette réponse à ma prière, je suis allé voir le directeur des vocations et je lui ai dit que j’étais prêt à quitter mes études et à aller au noviciat avant de revenir terminer ma formation.
Aujourd’hui, je termine mon noviciat et je suis prêt à reprendre mes études.
Comment ta famille a-t-elle réagi à ton appel à entrer dans la Compagnie de Jésus au Canada?
Ma famille est unique, nous sommes 8. Tous mes frères et sœurs sont enseignants. La plupart du temps, je les taquine en leur disant que je vais enseigner aussi, mais enseigner sur les questions concernant le ciel.
Certains m’ont soutenu, d’autres non. Mais je suis le maître de ma vie. Tout en moi, Dieu m’appelle. En tant que jésuite, je peux servir les gens sans limites, sans frontières: je suis vraiment heureux.
Je serai disponible pour tout le monde, y compris pour ma famille.
Comment était ta formation?
En deux ans, j’ai vraiment grandi spirituellement, mentalement et personnellement comme être humain.
Je me souviens qu’après 5 ou 6 mois, j’ai dû aller à une retraite silencieuse de 30 jours, aux États-Unis – et je n’avais pas l’habitude de ne pas parler! C’était le premier test dans la formation jésuite. C’était crucial pour moi, car cela allait confirmer ma vocation. Là encore, il y avait une grande liberté. Vous êtes libre de partir si vous sentez que la vocation aux jésuites n’est pas confirmée, mais je pense que j’ai confirmé la mienne à la fin de la retraite. J’ai rencontré d’autres novices là-bas, c’était quelque chose de motivant.
L’activité suivante a été d’aller à mon premier expériment de trois mois. C’était à Gatineau, dans la communauté de l’Arche. C’était vraiment un défi pour moi, car je ressens de l’empathie quand je vois quelqu’un souffrir, j’ai l’impression de participer à cette souffrance, donc j’hésitais à y aller. Je me demandais: est-ce que cela pourrait vouloir dire que Dieu ne m’appelle pas à cette vie de jésuite? Les jésuites vont pourtant là où les autres ne peuvent pas aller. C’était une lutte: je n’ai jamais été proche des personnes handicapées et dans ce cas, non seulement pour vivre avec eux, mais aussi pour les aider. Cela a été un moment pour grandir, mais ce n’était pas facile. J’ai prié le Seigneur et mon superviseur m’a aidé à m’engager avec les gens là-bas. À la fin, j’ai pleuré parce que je devais les quitter.
Ce fut une expérience touchante et difficile. Mais maintenant, je peux travailler avec des personnes malades ou dans des situations critiques.
Ensuite, il y a eu le pèlerinage: partir sur la route pendant un mois, sans argent, en comptant sur la providence de Dieu. En tant qu’étranger, je ne connaissais pas grand-chose des Canadiens. Le maître des novices m’a dit que je devais y aller et que je trouverais Dieu sur la route. Je suis allé chez les Premières Nations de Wiikwemkoong, en Ontario. J’ai passé deux jours à aider, puis je suis parti sur la route, d’un sanctuaire à l’autre jusqu’à Sainte-Anne-de-Beaupré.
Enfin, j’ai fait l’expériment plus long. J’aurais aimé travailler à Wiikwemkoong, mais ce n’était pas possible. J’ai travaillé avec le Service jésuite des réfugiés – Canada à Montréal pendant deux semaines. Mais Ignace de Loyola disait qu’il fallait toujours aller là où les besoins sont les plus importants. A alors émergé l’idée d’aller en Afrique centrale. Il y a un énorme problème avec les réfugiés là-bas à cause des guerres civiles, des instabilités politiques, et aussi à cause des problèmes économiques. Il y avait déjà deux scolastiques d’une autre province qui y faisaient leur régence. Ce n’était pas facile d’accepter ce travail à cause de la situation, mais j’y suis arrivé le 17 janvier 2020. J’ai travaillé en Afrique Centrale avec le JRS pendant 6 mois.
L’expérience a été très profonde, elle m’a donné la vie, mais elle a aussi été un défi. Il y avait beaucoup de déceptions, d’insécurités, d’inquiétudes et de craintes.
Ce n’était pas quelque chose de facile, mais de possible, et c’est ainsi que l’on grandit en tant que jésuite et c’est un avant-goût de notre vocation.
J’ai reçu un soutien important de ma communauté au Canada et aussi de la communauté dans laquelle je vivais: nous étions tous des étrangers dans un pays étranger. J’étais heureux de rencontrer des réfugiés, de visiter leurs camps, de travailler avec eux de différentes manières. Le temps a passé si vite! Par exemple, nous avons mis en place des écoles, j’enseignais, nous avons travaillé avec des psychologues pour aider des enfants soldats à retourner à l’école et à se réinsérer dans la société… J’étais plein d’énergie. Rentrer au Canada avec la pandémie a été un autre problème, car toutes nos frontières étaient fermées. J’ai dû prendre beaucoup d’avions-cargos d’OBNL pour revenir et continuer ma formation après mes premiers vœux.
Nous pensons que le noviciat est vraiment long, deux ans, mais en fait il est vraiment court. Vous passez moins d’un an au noviciat, puisque la plupart du temps vous êtes ailleurs. C’est loin d’être ennuyeux!
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